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Finyear

– 08 Mars 2022

Envisager tous les domaines d’application de la blockchain fait apparaître l’horizon d’une possible nouvelle transformation de notre société, mais surtout de notre environnement.
Ce dernier est souvent l’élément laissé pour compte des grandes révolutions industrielles. Cependant, depuis 2015, l’environnement est l’invité des grands débats et représente un enjeu majeur pour l’avenir de la société et de notre planète. La blockchain peut-elle protéger l’environnement ou se contentera-t-elle de s’en nourrir et le détériorer ? Cette technologie est principalement connue pour son application dans l’utilisation des crypto-monnaies. Depuis son introduction en 2008 comme journal de transaction du Bitcoin, la technologie a donné naissance à des centaines de crypto-actifs (Ethereum, NEO, Shiba Inu, Litecoin). L’utilisation d’une blockchain ne se limite pas aux crypto-actifs, mais peut aussi s’appliquer à d’autres domaines (la logistique, le médical, les brevets, les droits d’auteurs, les votes ou bien la création d’art ou de contenu digital).

Naissance de la techno et perspectives

La blockchain : fonctionnement et limites

Une blockchain est constituée d’un ensemble de blocs. Jusqu’ici, c’est facile, tout est dans le titre. Les blocs sont définis comme étant de la donnée, il peut s’agir d’une liste de transactions (1), ou bien d’une liste de l’utilisation faite du wifi ou encore de « smart contracts » (contrats intelligents). Il faut aussi comprendre que ces blocs ont des limites, en effet, si je reprends l’exemple du Bitcoin, un bloc enregistre en moyenne 1500 transactions. Lorsque les blocs de la chaîne arrivent à saturation, il faut alors ajouter de nouveaux blocs, dans le cadre du Bitcoin, cette opération s’appelle le minage. « Miner » consiste à mettre à disposition du réseau la puissance de calcul de son ordinateur contre une récompense pécuniaire. En substance, le mineur doit résoudre des milliards d’opérations mathématiques (2) qui suivent le protocole cryptographique utilisé par le réseau (3). Pour le Bitcoin, cette opération de validation s’appelle la preuve de travail « proof of work ». Une fois que le nouveau bloc crée respecte bien le protocole cryptographique, le mineur qui a été le premier à vérifier la validité du bloc reçoit sa récompense et ce nouveau bloc est ajouté tout en haut de la chaîne (c’est de cette façon que de nouveaux Bitcoins sont créés).

Pourquoi utiliser une blockchain : domaines d’application

L’utilisation d’un système de certification décentralisé et imperméable à la falsification est adaptée aux transactions monétaires, mais l’utilisation d’une blockchain est possible partout où s’applique le modèle F.I.T.S. (4) (Fraud, Intermediaries, Throughput, Stable data – Fraudes, Intermédiaires, débit des transactions, stabilité des données). Une blockchain, peut être disruptive dans tout domaine et pour toute industrie où : le risque de fraude est important et la sécurité et la confiance demandent des investissements conséquents, un grand nombre d’intermédiaires agissent sans pour autant apporter de réelle valeur ajoutée, le nombre de transactions possible par seconde est limité ou contraint et où les données sont tables dans le temps.

En 2021, l’utilisation de la blockchain se généralise. Institutions, gouvernements et sociétés participent activement à son développement : pour les gouvernements, citons les Etats-Unis qui ont déposé un brevet (5) concernant un système de vote par correspondance qui utiliserait une blockchain. Nous pouvons aussi citer des pays comme la Corée du sud, la Thaïlande, le Japon, mais surtout la Chine (6) qui se lancent dans la création de monnaies numériques à un horizon aussi proche que 2022. Plusieurs institutions financières se servent déjà de blockchain, soit pour faire de la réconciliation inter-banque (avec la blockchain Corda (7) en Italie), soit pour favoriser l’interopérabilité entre blockchain privées et publiques avec Quorum de JP. Morgan (8) . Les grands acteurs économiques ne sont pas en reste, Microsoft a lancé en 2020 Lition (9) et l’a intégré à son offre cloud Azure en tant que première BaaS (Blockchain as a Service) afin que les développeurs puissent créer des applications sur cette base. Samsung a intégré fin 2019 dans ses téléphones un wallet (zone matérielle sécurisée) qui permet aux utilisateurs de crypto-monnaies de conserver leurs actifs.

La vitesse à laquelle cette technologie sera adoptée dépend de 3 éléments majeurs : elle doit offrir un niveau de confiance supérieur ou égal à ce qui existe, elle doit rendre plus facile des aspects de notre quotidien et elle doit être simple dans son utilisation.

Impact RSE et environnement

Il subsiste un axe souvent mis de côté par les grandes révolutions industrielles ou numériques. Il s’agit de l’impact sur l’environnement et sur la RSE. Il n’existe pas encore d’étude globale et les résultats des études qui sont disponibles doivent être considérés avec un grain de sel (compte tenu du manque d’informations empirique sur cette technologie ainsi que des différences méthodologiques). Cependant celles citant le Bitcoin illustrent bien les enjeux de la question environnementale. Elles sont ciblées sur une activité du Bitcoin, mais elles mettent tout de même en lumière les coûts cachés liées à l’utilisation de cette technologie.

Consommation énergétique et environnement

Le premier aspect environnemental est la consommation énergétique. Une étude réalisée en 2014 par deux chercheurs irlandais montre que les systèmes fondés sur le concept de blockchain avec preuve de travail (le Bitcoin par exemple) peuvent être qualifiés de gouffres énergétiques (11), « l’activité de minage du Bitcoin représenterai la consommation énergétique d’un pays comme l’Irlande. L’utilisation de la preuve de travail induit une surconsommation d’électricité et de temps de calcul qui augmente exponentiellement dans le monde ». L’économiste Hyun Song Shin (12) (13) qualifie de désastre environnemental le système de validation par preuve de travail nécessaire à la blockchain du Bitcoin. D’après une étude publiée dans nature and climate change (14) en 2018, les émissions liées à l’utilisation du Bitcoin pourraient pousser le réchauffement climatique au-dessus de la barre des 2°C en moins de 30 ans et ce malgré les efforts consentis lors de la COP21. En 2019, le Bitcoin seul comptait pour environ 0.1~0.3% (entre 58 et 80TWh )(15) de la consommation mondiale d’électricité (soit plus que la consommation électrique annuelle de la Suisse ou encore du parc mondial de véhicules électriques). Etant donnée que la production électrique mondiale est assurée à 67% (16) par des énergies fossiles, on peut établir un lien de cause a effet direct entre le réchauffement climatique et l’utilisation de la blockchain.

Responsabilité Sociale des Entreprises

Un autre aspect environnemental est la gestion des déchets électroniques. La blockchain comme tout autre TIC produit un volume conséquent de déchets électroniques. Dans l’exemple du Bitcoin, le minage crée une forte concurrence et pousse à un renouvellement de l’équipement informatique (tous les 1,5 ans en moyenne). Il en ressort deux effets pervers : le premier est que cette forte demande stimule le secteur et accélère le développement de certaines technologies, notamment pour les microcomposants (c’était vrai avant la crise Covid). Le second est que cette forte demande ajoute un stress sur tout le secteur informatique et fait monter le prix des matières premières et des autres composants (17). Ces deux effets accélèrent le renouvellement des matériels informatique. Pour le minage de Bitcoin, l’activité participe à la production annuelle de 30 Kilo Tonnes de déchets électroniques (soit un peu moins que la masse d’un porte avion comme le Charles de Gaulle). Il faut aussi noter que le caractère « éternel » des informations contenues dans les blocs pose la question du droit à l’oubli et de la RGPD. À tout moment, tout acteur peut consulter les informations sans aucune censure.

En conclusion, les premières études, réalisées sur une partie de l’activité liée à l’utilisation du Bitcoin pointent vers une catastrophe écologique et font craindre un effet iceberg lorsque l’on étend le sujet à l’ensemble des blockchains.

Cependant, les méthodes énergivores pointées du doigt dans ces études sur le Bitcoin tel que le proof-of-work sont en train de perdre du terrain au profit de méthodes alternatives moins consommatrices en puissance de calcul et en énergie. Bien qu’un bilan complet des différentes méthodologies disponibles ainsi que leur impact environnemental restent à faire afin de pouvoir établir un standard plus « vert », le secteur a conscience de ces problématiques et multiplie les approches alternatives.

La blockchain peut aider à désopacifier les processus actuels de consommation et de production d’énergie, ce qui permettrait d’augmenter la part de renouvelable de nos énergies. Un exemple prometteur dans le secteur de l’exploitation forestière (18)(19) : Bien qu’il existe beaucoup de certifications et labels afin de s’assurer du caractère renouvelable et éco-responsable des produits de ce secteur, beaucoup de régions n’adhèrent pas à ces standards. La valeur ajoutée de la blockchain est de pouvoir rendre l’information sur l’origine et le traitement d’un produit complétement transparent pour tous les acteurs de la chaîne logistique. Le consommateur final pourrait alors être suffisamment informé pour faire un choix qui irait dans le sens de la protection de l’environnement, mais aussi du travail des enfants ou encore des droits de l’homme des femmes et des minorités (20).

Les sources

(1) Si on prend l’exemple d’une crypto-monnaie tel que le Bitcoin, on parle alors de journal des transactions
(2 La fonction de hachage fait office de clée de décodage. Il faut alors vérifier que toutes les données de ce nouveau bloc respectent bien la règle de codage et qu’en appliquant la clé sur les données pour les chiffrer, on arrivera à les déchiffrer avec la même clé.
(3) Pour le Bitcoin, il s’agit de la fonction de hachage « SHA-256 »
(4) F.I.T.S. : Fraud, Intermediaries, Throughput, Stable data. Modèle propose par le Dr. Adrian McCullagh Ph D. (IT Sec), LL.B., GAICD, Ph.D. Avocat et chercheur à l’université du Queensland en Australie
(5) https://www.forbes.com/sites/vipinbharathan/2020/09/20/us-postal-service-files-a-patent-for–voting-system-combining-mail-and-a-blockchain/?sh=155a81843336
(6) https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/la-chine-teste-le-e-yuan-une-monnaie-numerique_4615889.html
(7) https://www.lemagit.fr/conseil/Corda-R3-ne-lappelez-surtout-pas-Blockchain
(8) https://journalducoin.com/ethereum/reine-banques-blocklchain-jp-morgan-consensys-quorum/
(9) https://medium.com/lition-blog/microsoft-welcomes-lition-to-the-azure-baas-ecosystem-622c13628d4d
(10) https://journalducoin.com/actualites/coffre-fort-crypto-telephone-samsung-ledger-wallets/
(11) http://karlodwyer.com/publications/pdf/bitcoin_KJOD_2014.pdf
(12) Hyun Song Shin, « Chapter V. Cryptocurrencies: looking beyond the hype », dans BIS 2018 Annual Economic Report, Bank for International Settlements, juin 2018
(13) Michael Janda, « Cryptocurrencies like bitcoin cannot replace money, says Bank for International Settlements », ABC (Australia),‎ 18 juin 2018
(14) https://www.nature.com/articles/s41558-018‑0321‑8
(15) Voir : the Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index
(16) Données OCDE 2016
(17) https://www.phonandroid.com/le-prix-de-la-memoire-ddr4-va-bondir-de-30-dici-le-second-semestre-2021.html
(18) Kouhizadeh and Sarkis, 2018
(19) Figorilli et al., 2018
(20) Le PEFC a montré son intérêt pour cette technologie
Par Thibault Cardorelle​, Consultant Senior chez Square.

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