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Economie Matin

– le 13 juin 2022

Les incendies en Californie de 2017–2018 ont coûté plus de 24 milliards de dollars aux assurances.
L’année 2050 est une année de référence pour laquelle un objectif de limitation du réchauffement climatique est fixé. Les efforts pour atteindre cet objectif se poursuivent, et sont motivés par les effets du réchauffement climatique qui se sont déjà fait ressentir. La première entité vers laquelle on se tourne lorsqu’il est question de conséquences d’un aléa naturel est l’assureur. Avec tous les impacts qui sont déjà constatés et annoncés par les études scientifiques, une question se pose : à quoi s’attendent les assureurs pour l’horizon 2050 ?

Pour les assureurs, les saisons semblent se suivre et se ressembler. Ces dernières années, les nombres et intensités des sinistres climatiques ont atteint des niveaux jamais égalés.

Le Wall Street Journal a indiqué qu’au cours des années 2017 et 2018, les compagnies d’assurances des Etats-Unis ont versé suite aux incendies de Californie 24 milliards de Dollars d’indemnités. Cette sinistralité a été si importante pour les assureurs, que plusieurs ont modifié leurs politiques de souscription et n’ont pas renouvelé les contrats des assurés qu’ils estimaient dans des zones où le risque d’incendie était devenu trop important. Ce désengagement des assureurs peut être motivé par une nature qui devient trop incertaine, mais également par des structures humaines qui ne sont pas suffisamment fiables au regard d’un environnement rigoureux. La vision d’un immeuble qui s’effondre est difficilement supportable, mais c’est pourtant ce qu’il s’est passé à Surfside, une ville de Floride, en juin 2021. S’agissant d’une région particulièrement exposée aux effets du réchauffement climatique, notamment à la montée des eaux, ce drame a sonné comme un signal d’alerte pour les assureurs locaux. Certains n’ont pas attendu que le défaut d’entretien du bâtiment soit mis en cause dans ce sinistre, pour indiquer à leurs assurés que les bâtiments anciens n’ayant pas été contrôlés par les inspections de sécurité obligatoires ne seraient plus couverts.

En France, des constats similaires ont été fait avec un enchainement d’évènements météorologiques majeur depuis plus d’un an. La vallée de la Roya a été ravagée par la tempête Alex début octobre 2020. En avril 2021, c’est une vague de gel qui s’est répandue sur le pays, mettant à mal de nombreuses cultures, et notamment la viticulture, secteur aussi important sur le plan économique que symbolique pour la France. Néanmoins, dans ces situations, l’exposition des assureurs en France est limitée grâce à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. L’Etat français intervient alors dans le processus d’indemnisation, à la manière d’un réassureur.

Malheureusement, les scenarii envisagés par le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) ne sont pas réjouissants, et la sinistralité climatique va se dégrader jusqu’à l’horizon 2050. Les résultats de l’exercice pilote climatique mené en 2020 par l’ACPR sont explicites, ils indiquent une sinistralité multipliée par 2 à 5 dans les régions les plus impactées, ayant pour conséquence une augmentation des primes de 130% à 200% sur les 30 années de la projection.

Les épisodes de sécheresse seront plus récurrents. D’un point de vue assurantiel, la partie la plus coûteuse du sinistre se situe dans la conséquence de la réaction des sols à la sécheresse. Ces sols qui se déforment fragilisent les bâtiments et les détériorent. La sécheresse devient ainsi le phénomène climatique le plus coûteux en termes de sinistralité, en raison de sa récurrence, et de son étendue. La FFA a estimé une multiplication par 3 du coût de ces sinistres sur la période 2020 – 2050, par rapport à la période 1989 – 2019.

Les tempêtes et inondations ne sont pas les sinistres les plus coûteux pour les assureurs, mais ce sont les plus impressionnants et dangereux pour les populations. Sur la période 2020 – 2050, la FFA a estimé des augmentations de leurs coûts respectifs de 46% et 81% par rapport à la période 1989 – 2019.

S’il est vrai que l’augmentation des fréquences et intensités des tempêtes et inondations a déjà été constatée, c’est le nombre de submersions marines (inondations des zones littorales) qui est également voué à augmenter. La question du développement des structures le long des côtes, en zones inondables, ou même sur des espaces naturels non classés revient dans le débat public à chaque drame de ce type.

Le développement des constructions entre dans les projections des assureurs pour les décennies à venir comme une autre variable. Il s’agit effectivement d’une augmentation de la matière assurée. C’est bien sur des zones urbaines, des habitations, des entreprises, des biens matériels, et des personnes que les phénomènes climatiques créent des sinistres. Une augmentation du nombre de biens et de personnes crée forcément plus de risques à couvrir pour les assureurs. L’évolution sociodémographique reste cependant une variable moins complexe à apprécier en raison de son caractère mesurable et prévisible.

Dans cette évolution de sinistralité, les assureurs seront contraints de suivre le marché. Si les indemnisations augmentent, les primes devront être ajustées en conséquence. Cependant, s’il est reconnu que le changement climatique est en cours, et irréversible, il reste complexe pour les assureurs de s’en accommoder. Malgré les différents sinistres énoncés précédemment, les acteurs du marché continuent d’indemniser leurs assurés comme si les effets du réchauffement climatique ne se faisaient pas encore ressentir. Pour l’instant, les primes sont ajustées annuellement afin d’équilibrer les indemnisations, les mécaniques de tarification des anciens contrats ne sont pas revues en fonction du risque climatique. Il y a donc un décalage entre les pratiques du marché et la réalité de la masse assurée qui subit des sinistres dont les fréquences et intensités ont augmenté en raison du réchauffement climatique. L’écart entre le fonctionnement des assureurs et l’environnement en évolution s’explique par la complexité de la mise à jour nécessaire. Les actuaires manquent effectivement de données pour évaluer, modéliser, et anticiper précisément les impacts du réchauffement climatique. Pour illustrer la situation, c’est comme si une entreprise continuait d’utiliser des outils obsolètes, parce qu’elle n’avait pas encore réussi à concevoir les outils dont elle a maintenant besoin.

Au-delà des impacts sur l’actuariat et sur les indemnisations, le réchauffement climatique, aidé de la réglementation sur la transition énergétique verte, a déjà incité les assureurs à repenser leurs gestions des risques. La tendance du marché s’oriente vers l’identification de trois grands risques : le risque physique (le risque principal, il s’agit de la vulnérabilité des assureurs et de leurs actifs aux évènements climatiques), le risque de transition (l’exposition des assureurs aux différentes évolutions du marché à venir : juridique, financière, politique, technologique, …), et le risque de responsabilité (la responsabilité des assureurs dans le dérèglement climatique, via la fourniture de services aux entreprises émettant d’importantes quantités de gaz à effet de serre).

Ces mutations organisationnelles, ne se limitent pas à la gestion des risques. Les structures des entités ont évolué pour que les Directions RSE intègrent une dimension risque climatique. Les actifs détenus sont de moins en moins carbonés (en fonction des stratégies propres à chaque assureur). Tout comme les actifs, les portefeuilles (ainsi que les nouveaux assurés) sont évalués en fonction de leurs empreintes carbones, avec pour objectif de réduire cette dernière. La gestion durable des sinistres est encouragée.

Vis-à-vis du risque climatique, comme vis-à-vis de la plupart des autres risques, les assureurs ont un rôle de conseil à jouer. En règle générale, la prévention coûte moins cher que l’indemnisation, et est également préférable à cette dernière pour les assurés. Dans ces cas, les assureurs et assurés se positionnent dans une relation gagnant/gagnant.

Pour le cas du risque climatique, la portée des effets bénéfiques (ou la limitation de la dégradation) ne se limite pas aux deux parties assureur et assuré, mais s’étend à la société et à l’environnement. Il est donc pertinent pour les assureurs, notamment via leur dimension RSE, de se positionner en tant que préventeur du risque climatique. Cela valoriserait également leur rôle, en les positionnant comme des conseillers de leurs assurés, et non pas seulement comme un service d’indemnisation.

Par Nathan Luce, Consultant Senior Square.

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