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Les Echos

– le 8 juillet 2022

Le mécanisme d’ajustement aux frontières (MACF), dans sa mouture votée par les eurodéputés le 22 juin dernier puis adopté par le Conseil des ministres, donne le mauvais signal et entretient l’illusion d’une transition énergétique sans coût.
Après un premier rejet et une phase de lobbying intense des entreprises concernées par la réforme, les eurodéputés ont fini par voter la proposition de règlement de la Commission établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, pierre angulaire du plan de décarbonation Fit for 55 avec lequel l’UE entend montrer l’exemple sur la scène internationale. Annoncé comme une « victoire » ouvrant la voie à « l’indépendance énergétique de l’UE » par le gouvernement français, le MACF, dans sa dernière version, s’apparente pourtant davantage à un échec par rapport à son objectif initial.
Le principe d’un surcoût des biens importés sur le sol européen, dont l’équivalent carbone sera indexé sur le prix de la tonne de carbone sur le système d’échange de quotas européen (SEQE ou marché carbone, instauré en 2005) va dans le bon sens. Mais les modalités effectives de son application le vident de son contenu au regard du flou de sa mesure, de ses exemptions et de l’utilisation prévue des sommes collectées. 
Concrètement, après une phase de transition déclarative de 2023 à 2025, les importateurs devront acheter des certificats au prix du SEQE dont le nombre correspond aux émissions en CO2 générées par la production du bien importé. Comment va-t-on calculer ces émissions ? Sur la base des données transmises par le pays exportateur du bien concerné ou des valeurs par défaut par secteur industriel. Or il est très difficile de mesurer les émissions CO2 à la production. Et rien ne garantit que les entreprises exportatrices soit exhaustives dans leur déclaration ; au contraire, elles auront tout intérêt à minimiser les émissions pour rester compétitives, et les régulateurs européens chargés de vérifier la fiabilité des données auront bien du mal à obtenir de la transparence. Ce sera d’autant plus difficile qu’il n’y a pas d’harmonisation sur les méthodes de comptabilisation des émissions de CO2 entre les pays. Sur le plan de la réglementation extra-financière, l’UE finalise son premier paquet de normes dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), en parallèle des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui ont leurs propres règles. Chacun avance de son côté avec des méthodologies et des périmètres différents, et de nombreux pays n’ont, à ce jour, pas de réglementation vraiment contraignante. Le MACF se trouve donc très limité du fait de l’imprécision de la mesure des émissions de CO2 et de la nécessité de le combiner avec les différentes réglementations extra-financières. 
Ensuite, le champ d’application du MACF ne sera que progressivement étendu et de nombreuses industries auront le temps d’y échapper et d’espérer des atermoiements repoussant indéfiniment les échéances annoncées, comme pour la fin des quotas d’émissions de CO2 gratuits (droits à polluer) reportée à 2032, soit dans 10 ans…sauf si un nouveau report ou une crise exceptionnelle changeraient la donne.

Enfin, le MACF ainsi esquissé va à l’encontre du principe d’une taxe carbone telle que préconisée par Pigou. Une taxe « pigovienne » revient en effet à faire disparaître une externalité négative (ici les émissions de CO2) en créant un marché donnant un signal-prix, et en allouant les sommes récoltées au financement des mesures visant à combattre l’externalité négative, en l’occurrence les énergies vertes et la recherche. Or il est prévu d’utiliser le MACF pour rembourser une partie de l’emprunt contracté au cours de la crise du Covid et financer le Fonds Social européen.

Au final, ces limites en reviennent à un problème de fond : refuser que la transition énergétique à un coût que tout le monde finira par payer car, comme le dit l’économiste Christian Gollier, la transition énergétique sans coût est une utopie.

Par Anna Souakri Chercheure Square Research Center et à l’ESCP Business School et Jean-Marc Daniel Professeur émérite ESCP Business School.

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