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L’Argus de l’assurance

– le 16 août 2022
Avec le dérèglement climatique tel qu’exposé dans les derniers rapports du GIEC, l’accélération de la fréquence des sinistres et l’aggravation des catastrophes imposent une mutation à marche forcée de l’équilibre économique pour des pans entiers de l’économie. Les assureurs ne dérogent pas à ce constat et doivent mettre au point de nouvelles couvertures. 
L’assurabilité est le concept qui établit la capacité d’un assureur à couvrir le risque auquel un assuré est exposé. Cela repose sur trois dimensions incontournables : la perte potentielle que peut subir l’assureur ne doit pas remettre en cause sa solvabilité ; le coût moyen du sinistre doit être identifiable et mesurable ; les sinistres doivent être indépendants les uns des autres, avec la même distribution de probabilité. Mais avec la nouvelle donne climatique, ces trois dimensions peuvent ne plus être respectées. Les risques physiques, de transition et de responsabilité pourraient contraindre les assureurs à se retirer de certains marchés.

Le risque physique résulte des dommages directement causés par les phénomènes climatiques et peut entraîner une dépréciation des actifs détenus ainsi qu’une modification de la fréquence et des coûts de ces aléas. Le risque de transition a pour origine les politiques énergétiques, les changements de préférences des consommateurs et les innovations technologiques : ces facteurs peuvent provoquer une baisse de la valeur des actifs et une perte de revenus. Le risque de responsabilité correspond aux dommages et intérêts que devrait payer une personne morale si elle est jugée responsable du réchauffement climatique.

Face à cette situation, l’ACPR met l’accent sur les enjeux liés à la gouvernance dans son rapport publié en février 2022 (1). Elle souligne le fait que les enjeux sur le passif des assureurs et sur la souscription ne sont pas assez étudiés et pris en compte dans la stratégie et dans les projections au sein de l’ORSA. De même, il n’est que rarement question des opportunités de mise en place de produits adaptés aux évolutions sociétales et climatiques.

De manière opérationnelle, les assureurs devront innover pour faire face à quatre enjeux majeurs :

Tarification des primes 

Pour qu’un assureur accepte de garantir un aléa, il doit pouvoir tarifer le risque et donc mesurer la probabilité d’occurrence des sinistres et les coûts associés. Afin de modéliser la fréquence et l’ampleur d’un phénomène extrême climatique, l’assureur doit prendre en compte l’évolution spatiale et temporelle de ce phénomène. Or, les modèles actuels ne capturent pas correctement la corrélation spatiale et la dépendance temporelle entre les sinistres. Les assureurs doivent donc innover pour élaborer de nouvelles méthodologies mathématiques et actuarielles.

Calcul de provisions

En cas de catastrophe naturelle, les provisions pour égalisation constituent un réservoir contre les fluctuations importantes du montant des sinistres. Lorsque le montant des sinistres est inférieur aux prévisions pour une année donnée, la différence est conservée afin d’être disponible pour des pertes excessives futures. Ces provisions peuvent être un outil pour assurer la résilience des assureurs face aux risques climatiques. Pourtant, il n’existe pas de méthode de calcul pour les estimer. Des innovations en matière de modélisation et de projection du passif permettraient de garantir la solvabilité des établissements.

Risque de marché

Les catastrophes naturelles extrêmes peuvent avoir affecté les marchés financiers. Par exemple, des chercheurs ont recueilli des données sur 88 catastrophes naturelles et ont observé une baisse prononcée des indices boursiers le jour de l’événement et les deux jours suivants. (2) En plus du risque de transition, un tel phénomène est donc susceptible d’engendrer une dépréciation des actifs à court terme. Or, les actifs de l’assureur doivent lui permettre de faire face à ses engagements. L’innovation requise ici porte sur la capacité à imputer les fluctuations boursières sur des scénarios climatiques pour mieux se couvrir des pertes potentielles.

Assurance paramétrique

En France, la garantie des catastrophes naturelles (garantie Cat Nat) s’applique à la prévention des risques naturels majeurs et à l’indemnisation des pertes causées par la survenance de risques climatiques considérés d’intensité anormale. Cette garantie repose sur un critère d’intervalle de temps entre deux événements et pourrait devenir obsolète du fait de la multiplication des catastrophes. La France pourrait ne pas avoir d’autre choix que de revoir cette garantie. Dès lors, une partie de la population pourrait ne plus bénéficier de ce système de protection et n’aurait pas d’autre alternative que de se tourner vers l’assurance privée. Or, une augmentation du risque peut se traduire par une augmentation de la prime. Les agents dans l’incapacité de payer cette prime se retrouveraient sans couverture. C’est en cela que l’assurance paramétrique offre un nouveau paradigme aux assureurs : l’indemnisation, prédéfinie par un contrat, se déclenche dès qu’un indice dépasse un seuil fixé d’avance. Pour être mise en place, il est primordial d’appréhender les principaux risques qui lui sont propres : le risque de base, la fiabilité des données et l’enrichissement sans cause.

Le dérèglement climatique est un phénomène mondial auquel sont particulièrement exposés les assureurs. Les dégâts physiques ou les impacts de transition et de responsabilité sont au cœur de l’activité de l’assureur dans un contexte de mutualisation des risques de plus en plus compromis. Dans un cadre où le transfert des risques entre assurés ne serait plus possible, il est primordial pour les assureurs de pouvoir tout de même garantir l’assurabilité des biens. Ainsi, c’est la définition même de l’assurance qui est en jeu : l’élaboration de nouveaux produits est incontournable pour accompagner la transition énergétique.

Sources

(1) La gouvernance des risques liés au changement climatique dans le secteur de l’assurance – ACPR (17/02/2022).

(2) Teitler-Regev, S., & Tavor, T. (2019). The impact of disasters and terrorism on the stock market. Jàmbá: Journal of Disaster Risk Studies, 11(1), 1–8.

Par Samira Aka Consultante et Chercheure, Quentin Lajaunie Consultant et Chercheur et Adrien Aubert Associate Partner Square Management.

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