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Carenews

– le 30 novembre 2022
Pensez‑y si vous avez encore les pieds dans l’eau : la mer, qui représente 71% de la surface de notre planète et produit 50% de l’oxygène que nous respirons, sera selon l’Unesco sévèrement et durablement endommagée par le réchauffement climatique si rien n’est fait d’ici 2050. 
La préservation des océans, qui concernent directement la vie de 3 milliards de personnes, est donc un enjeu primordial des 17 Sustainable Development Goals (SDGs) établis par les Nations Unies, en particulier l’objectif 14 : « Life Below Water » qui est cependant le second objectif le plus bas en termes d’allocation de capital. Un nouveau type de bond pourrait changer la donne, à condition de gagner en visibilité.

Qu’est-ce qu’un blue bond ? 

La Banque Mondiale définit la Blue Economy, ou économie bleue, comme « l’utilisation durable des ressources océaniques en faveur de la croissance économique, l’amélioration des revenus et des emplois, et la santé des écosystèmes océaniques ».

Les régions du monde qui dépendent de cette économie ont un besoin vital de financement : à titre d’exemple, 100% de la population des Caraïbes vit près des océans. Ainsi, de nombreuses initiatives liées à cette économie bleue naissent des régions directement concernées : c’est dans ces nations que naît l’essor des « Blue Bonds », ces obligations qui financent une partie la « Blue Economy ».

Comme pour une obligation classique, des investisseurs prêtent de l’argent à l’émetteur du Blue Bond ; mais pour qu’une obligation soit considérée comme bleue, les gains servant à financer les remboursements doivent être issus d’investissements durables dans l’économie bleue, c’est-à-dire issus des projets liés à la mer et aux océans, et ayant bien sûr un impact positif sur l’environnement.

Blue Bond et green bond

Un Blue Bond est aligné sur le modèle d’un Green Bond, mais si le marché de ces derniers a explosé ces dernières années jusqu’à atteindre 1500 milliards de dollars émis en cumulé (en décembre 2021), le marché des Blue Bonds en est encore à ses balbutiements avec entre 2 et 5 milliards de dollars émis.

Début 2018, lors du World Ocean Summit, les “Sustainable Blue Economy Finance Principles” ont été dévoilés et en janvier 2022, l’International Finance Corporation, entité de la Banque Mondiale, a publié des recommandations pour financer l’économie bleue ; mais celles-ci ne donnent pour l’instant pas de recommandations et de critères clairs pour l’émission de Blue Bonds.

Car les projets liés à l’économie bleue sont vastes et complexes : la pêche durable, la préservation du littoral, la gestion des déchets plastiques, le tourisme marin ou le traitement des eaux, le tourisme, l’aquaculture etc…mais sont surtout intrinsèquement différents : un écosystème maritime n’appartient pas à un seul pays, une portion d’océan n’appartient pas à une entreprise, et les retombées d’une pêche responsable ne seront concrètes que si tous les acteurs de la zone sont impliqués et coopèrent.

Des acteurs en majorité gouvernementaux

C’est en 2018 que le premier Blue Bond a été émis par les Seychelles : 15 millions de dollars ont été levés auprès d’investisseurs internationaux grâce à un partenariat public/privé. Les fonds servent à financer l’extension des aires marines protégées et le développement de l’économie bleue.

La Banque Mondiale a mis en relation la Banque de Développement des Seychelles avec les 3 investisseurs privés Calvert Impact Capital, Nuveen, et Prudential Investments, a intégré une garantie de 5 millions de dollars dans le Blue Bond et a facilité des dons d’ONG afin de réduire additionnellement le coût de la dette. Les Seychelles rembourseront le Bond en 10 ans avec un coupon de 6,5%, des conditions de financement inespérées pour cet état insulaire.

Un an plus tard, c’est la Banque Nordique d’Investissement qui a vendu son premier Blue Bond de 234 millions de dollars pour financer des projets de traitement des déchets afin de réduire la pollution de l’eau et restaurer la biodiversité dans la Mer Baltique. La demande pour ce Bond a été deux fois plus grande que le nombre de parts disponibles, illustrant l’attractivité des bonds considérés comme bleus.

Mais les montants de ces transactions restent encore marginaux par rapport aux besoins de financements de projets cruciaux, et l’enjeu actuel est d’augmenter considérablement le marché des Blue Bonds pour répondre à cette demande grandissante. C’est pour répondre à cette problématique que l’Asian Development Bank a lancé en 2022 le premier incubateur de Blue Bond au monde lors de la 7ème conférence “Our Ocean” à Palaos, où gouvernements et chefs d’entreprise ont promis de s’engager à hauteur de 91 milliards de dollars pour la protection des océans.

Des impacts colossaux : le cas particulier du Belize

Après des mois de négociations, un accord historique a eu lieu en novembre 2021 entre l’organisation environnementale The Nature Conservancy (TNC), le Belize et ses créanciers.

Selon l’accord, le TNC prête des fonds au Belize pour qu’il rachète sa propre dette de 553 millions de dollars (30 % du PIB) à ses créanciers à 55% de sa valeur faciale. Ces fonds sont sous la forme d’un Blue Loan, que le TNC finance via un Blue Bond de 364 millions de dollars monté et souscrit par Crédit Suisse. Le Bélize remboursera directement le TNC, et restera sous sa supervision.

Ce qui change par rapport au Bond Seychellois de 2018 sont les montants en jeu ainsi que les garanties : la Development Finance Corporation, agence publique américaine, fournit une assurance de 610 millions de dollars, couvrant le principal et les intérêts, ce qui permet à la dette d’abaisser son taux à 6,1%, d’avoir une période de 10 ans sans remboursement de capital, et d’obtenir une plus longue maturité. Additionnellement, une assurance paramétrique structurée par Willis Tower Watson couvrira les 31 premiers mois de remboursement du Blue Bond en cas de catastrophes naturelles.

En contrepartie, le Belize doublera la taille de ses parcs naturels marins incluant les coraux (deuxième plus grande barrière de corail au monde) et autres écosystèmes uniques au monde. D’ici 2026, 30% de la surface océanique du Belize devra être en zone protégée et un fonds de dotation de près de 24 millions de dollars servira à poursuivre le financement des projets de préservation au-delà de 2041.

Le Belize est donc gagnant financièrement sur deux tableaux : sa dette est maintenant réduite de 12%, tandis que son économie en majorité touristique profitera des investissements dans la conservation du littoral.

Les créanciers ne sont pas non plus en reste : en acceptant à 85% de votants la décote de 45% ils récupèrent un investissement qui devenait de plus en plus risqué (cette dette a connu 5 restructurations en 15 ans) ; d’autre part la médiatisation du deal rendait compliqué un refus de la part de créanciers sensibles à leur image ESG, comme par exemple GMO ou ABRDN.

Les créanciers sensibles à leur image ESG ont permis au « Debt for swap » du Belize de voir le jour, et au bond de la BNI d’avoir un tel succès commercial : l’image « bleue » est une réalité. Les banques continentales ont déjà réussi à donner de la visibilité et de la garantie financière à des projets gouvernementaux liés à la Blue Economy, cependant les Blue Bond ne sont toujours qu’un marché de niche aux côtés du marché bien identifié des Green Bonds : un cadre transparent et exigeant pour éviter tout risque « Blue Washing » ainsi qu’une publicité accrue pourraient permettre de les voir grandir à une échelle globale et ainsi financer de nouveaux projets à travers le monde.

Des projets issus de différentes entreprises d’une même région marine pourraient être mis en commun afin d’atteindre un Blue Bond de taille critique avec un rapport risque-rendement favorable aux investisseurs.

Ces projets auront lieu si entreprises et investisseurs y voient un intérêt clair : dans ce sens, la promotion de chaque Blue Bond est une avancée.

En 2007, la Banque Européenne d’Investissement a émis le premier Climate Awareness Bond pour un montant de 600 millions de dollars. En 2021, 500 milliards de dollars de Green Bonds ont été émis, et 1000 milliards devraient l’être en 2023. Il est dans l’intérêt de tous que la vague des Blue Bonds déferle encore plus vite.

Par Baptiste Jezequel, Consultant Senior Square Management.

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