Le Journal Du Net
– le 26 février 2024
Voici une analyse du phénomène “Assurtech”, concept issu de la combinaison des mots “Assurance” et “Technologie”. Quels sont les enjeux pour le secteur de l’assurance ?
Dérivé de l’anglais Insurtech, le néologisme « Assurtech » est issu de la combinaison des mots Assurance (Insurance) et Technologie (Technology). Utilisé pour la première fois en 2012 sous la forme d’un #hashtag afin de répondre à la question « Qui sera le Uber de l’assurance ? », il recouvre des réalités variées. Premièrement, il désigne l’ensemble des innovations technologiques mises en place pour améliorer l’efficacité des services et des produits d’assurance. Par extension, le mot Assurtech désigne également l’ensemble des entreprises, très souvent des startups, qui mettent en œuvre ces innovations technologiques dans le but de se démarquer des modèles assuranciels traditionnels.
Ces nouvelles entreprises sont ainsi profondément différenciées des institutions historiques, par leur modèle économique ou par leurs processus métier entièrement digitalisés. Mais surtout, les assurtechs proposent de nouveaux produits, dans l’air du temps, pour satisfaire les attentes des clients dont les habitudes de consommation ont drastiquement évolué en quelques années. Autrefois à la recherche du service au prix le plus attractif, le client cible aujourd’hui un service plus pratique, plus simple et plus rapide à souscrire, en conservant des tarifications ultra compétitives.
Les assurtechs sont ainsi parvenues à attaquer le marché en mettant en avant une proposition alignée avec ces exigences tout en maintenant un positionnement tarifaire agressif. Les outils connectés tels que les Smartphones et les Tablettes, les méthodes d’Intelligence Artificiel et de Big Data sont autant d’outils digitaux exploités par ces startups pour se mobiliser autour de segments bien précis :
· Un parcours entièrement dématérialisé,
· Une souscription quasi instantanée,
· Une offre personnalisée, adaptée et modulable pour chaque client,
· Une expérience client innovante.
Par exemple, pour le prêt d’un véhicule de particulier à particulier, le bénéficiaire du prêt peut facilement souscrire depuis son smartphone, en moins de cinq minutes, son contrat d’assurance Auto. Ce dernier peut également personnaliser son offre, en sélectionnant des produits et services complémentaires, ou encore en définissant la période de prestation du contrat sur une durée potentiellement courte.
Positionnement des Assurtech françaises sur le marché
2021 est une année record pour les assurtechs françaises, qui ont pu se financer à hauteur de 630 millions d’euros par le biais de levées de fonds. C’est trois fois plus que le montant levé sur l’exercice précédent et autant que l’ensemble des levées de fonds en Europe sur cette même année 2020. Parmi les assurtechs tricolores, Alan s’est positionné sur le devant de la scène avec une levée de fonds de 185 millions d’euros, la plus importante en France. Le néo-assureur santé, indépendant et 100% en ligne est entré, grâce à cette levée, dans le club prestigieux des licornes françaises et est désormais valorisé à 2,7 milliards d’euros.
Alan s’est notamment distingué dans sa flexibilité, son innovation technologique, sa tarification compétitive, son service client de qualité et son approche centrée sur les données.
Shift Technology a annoncé quelques jours après Alan une levée de fonds atteignant les 183 millions d’euros, devenant à son tour une « licorne » en dépassant la barre symbolique du milliard d’euros de valorisation. Shift Technology propose aux assureurs traditionnels un support technologique dans la lutte contre les déclarations de sinistres frauduleuses.
Ces quelques exemples d’assurtech dont la renommée médiatique s’étend au-delà du territoire français ne forment que la partie émergée de l’iceberg. En effet, c’est tout le secteur qui est bouleversé par cette mutation technologique. Les entrepreneurs et investisseurs sont restés à l’écoute du marché et en surveillance de toute opportunité pouvant se présenter. À l’image d’Alan ou de Shift Technology, plus de 2,3 milliards d’euros ont été levés en 2021 au sein de la sphère assurtech.
Si l’on cite les exemples de belles réussites françaises, nous devons également mentionner la mésaventure de Luko, assurtech française spécialisée en assurance habitation et fondée en 2018. Avec l’augmentation des taux en 2022, les levées de fonds ont connu un fort ralentissement. Luko, incapable d’honorer sa dette de 45M€ fin 2022 a été contraint de trouver un repreneur. C’est donc le groupe britannique Admiral qui a annoncé reprendre ses activités en juin 2023. Luko compte près de 200 collaborateurs et 450 000 assurés.
Le cas de Luko met en lumière un premier constat : les assurtechs et le business model associé ont besoin d’atteindre la rentabilité rapidement, peut-être même plus tôt que prévu.
Réponse des assureurs traditionnels
Les assureurs traditionnels ne restent pas spectateurs et ont également une capacité financière sur laquelle ils peuvent s’appuyer dans le cadre de leur transformation. Leur expertise couplée à la relation de confiance établie avec leurs clients constitue un atout majeur au service de l’innovation et du développement commercial.
Beaucoup d’entre elles ont compris qu’une démarche de collaboration avec les assurtechs serait profitable pour tous. Ainsi de plus en plus d’assureurs s’associent avec les assurtechs, soit en les utilisant comme prestataires, ou bien en finançant leur développement dans l’optique de créer une expertise spécifique.
C’est ainsi qu’en 2018 et en France, sept acteurs majeurs du secteur (Groupama, MACIF, Smacl, MAIF, Groupe P&V, Mutuelle de Poitiers Assurance et MAAF COVEA), le Medef 79 et l’agglomération de Niort se sont réunis autour d’un objectif commun : « impulser de nouvelles solutions pour l’assurance de demain et dynamiser le développement numérique du territoire niortais ». Un accélérateur de startups nommé « French Assurtech » est alors créé. Trois années plus tard, le programme d’accélération de French Assurtech reçoit plus de 240 candidatures émanant de startups européennes pour 21 retenues.
Le secteur assuranciel est sujet à de profonds bouleversements, conséquences de l’émergence de ces nouveaux modèles en recherche constante d’innovation, qui se réinventent chaque jour pour proposer des solutions toujours plus compétitives.
La pandémie de Covid-19 a accéléré l’adoption des technologies numériques, et les assurtechs ont profité de cette tendance en proposant des services d’assurance en ligne et des outils de gestion de sinistres à distance.
Cependant, tous les feux ne sont pas au vert pour les assurtechs. Le marché est en effet soumis à une très forte concurrence, tant à l’échelle française qu’à l’échelle mondiale. De plus, la mise en œuvre du RGPD qui a introduit des contraintes strictes en matière de protection des données personnelles est aussi un obstacle important pour ces startups, qui n’ont pas d’autre choix que de se mettre en conformité.
La confiance des consommateurs est également un enjeu de taille pour ces assurtechs qui doivent maintenir qualité de service et prix attractif en adéquation avec l’évolution de leur portefeuille de contrat. Pour les consommateurs, l’innovation ne peut pas être le seul critère face à des assureurs ayant démontrés leur solidité au cours du temps.
En définitive, les assurtechs ont certainement bousculé le marché de l’assurance, mais elles n’en n’ont pas encore pris le contrôle. Les assureurs traditionnels maintiennent une très large part du marché de par leurs portefeuilles historiques et ont montré leur capacité à s’adapter et à innover.
Par Christophe Choi, Consultant Confirmé chez Square Management.