Journal du Net
– le 03 janvier 2022
S’accorder sur une définition précise de la stratégie d’innovation est crucial
Sihem Ben Mahmoud-Jouini, Professeure associée à HEC, décrit la stratégie d’innovation comme l’orchestration de la coévolution de la vision, des offres et des compétences. Evidemment, plus que jamais, cette orchestration vise à produire une innovation durable.
La stratégie d’innovation ne réside donc pas seulement en la définition du plan de renouvellement des produits ou de leur positionnement, elle implique aussi de définir et orienter le développement de compétences clés qui rétroagissent sur une vision responsable.
Prenons ici le cas de Danone et de sa vision stratégique « Local First » dont l’ambition est de « passer d’une organisation mondiale par catégories à une organisation locale par zones ». En terme d’innovation durable, si ce leader mondiale n’avait pas pensé à renouveler ses expertises en matières de logistique, de design, d’achats, de réglementation et de gestion cela ne lui permettrait pas de travailler de façon plus précise et plus créative sur les circuits-courts, la circularité et plus globalement sur l’économie sociale et solidaire, qui est au cœur des sujets de relocalisation des échanges.
En matière de stratégie d’innovation durable, sans renouveler voire réviser ses compétences, comment le leader du yaourt pourrait-il investir, par exemple, le secteur très profitable de la finance à impact qui est connexe au sujet du Local First ? En effet, sans un marketer innovant et spécialiste des sujets de circuit-courts, comment viendrait le concept de faciliter la création d’une monnaie locale afin de générer la résilience d’un territoire et d’instaurer une nouvelle relation de confiance entre les consommateurs des produits Danone et les producteurs ?
Modéliser en Open Innovation une stratégie d’innovation durable
La conception de la stratégie d’innovation durable débute par une prise de conscience, de laquelle découle une analyse. Les dirigeants doivent saisir que l’entreprise doit savoir répondre aux tensions de son écosystème.
Centrée sur l’évolution des diverses parties prenantes, l’analyse explicite les tensions dont les causes peuvent être des ruptures économiques, technologiques, sociales, politiques… Dans le cas de la vision stratégique « Local First » de Danone l’enjeu serait, entre autre, de mesurer l’influence de la politique de la commission européenne sur les façons de vendre et consommer local, à travers son soutien à des initiatives telles que SKIN, Short Supply Chain Knowledge and Innovation Network[1]. Cette analyse des tensions et des ruptures auxquelles doit faire face l’écosystème est ensuite partagé avec ses parties prenantes.
L’analyse de l’écosystème se poursuit par une plongée au sein de la firme qui entreprend la démarche. C’est un état de ses compétences et de ses capacités d’innovation. Il revient aux analystes de relever des attentes non-comblées de business units, faute de moyens ou de compétences. Il peut aussi s’agir d’identifier des opportunités négligées par les mêmes business units…
Ensuite les stratèges de l’innovation font converger les parties prenantes internes et externes sur une lecture commune de la situation présente. Enfin, par l’intelligence collective, des représentants des sociétés formant l’écosystème s’entendent sur un cadre d’exploration commun tel un phare pour éclairer l’inconnu. Le travail sur une vision commune peut débuter par une interrogation telle que : Comment créer une production locale résiliente ? C’est en questionnant les apports de chaque partie prenante à l’écosystème que résulte un foisonnement de propositions de valeur en réponse aux défis de l’écosystème.
La stratégie d’innovation durable se pense donc en Open innovation. Construite par concertations, elle orchestre une vision désirable pour les acteurs de l’écosystème, échanges de compétences et conception collective de propositions de valeur responsables.
[1] http://www.shortfoodchain.eu/