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Le Courrier Financier

– le 03 février 2022

Comment les banques peuvent-elles répondre aux objectifs de l’Accord de Paris ? Quelles opportunités peuvent-elles saisir face au changement climatique ? Les explications de Romain Parinaud, consultant senior chez Groupe Square.

Suite à la signature des accords de Paris en 2015, visant à limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport au niveau préindustriel, l’Europe ambitionne de devenir le premier continent neutre pour le climat à horizon 2050. Dans cette trajectoire, le secteur financier a clairement été identifié comme ayant un rôle prépondérant dans l’accompagnement des pays et entreprises vers une économie bas carbone. Les banques devront répondre à deux principaux défis. D’une part, elles devront financer cette transition, d’autre part, elles devront gérer les nouveaux risques induits par cette transition, ainsi que l’impact du réchauffement climatique sur leur bilan.

Or depuis la crise économique de 2008, les banques sont assommées à coup de textes réglementaires afin de renforcer leur résilience et la stabilité du système financier. Cette responsabilité les oblige à revoir encore leur copie en intégrant et en gérant les risques liés aux critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Ces nouveaux risques sont perçus comme un potentiel tour de vis additionnel dans le bilan des banques. Cependant, cette transition peut aussi être une réelle opportunité de réaffirmer leur rôle d’accompagnement et de conseil dans le financement de l’économie. 

L’intégration des risques ESG…

Les hautes autorités européennes travaillent d’ores et déjà au pied levé en construisant un cadre réglementaire qui permettra la réalisation de cette transition vers une économie bas carbone. Auparavant, seule la performance financière était prise en compte, dorénavant un nouveau critère doit être intégré au processus : l’investissement doit avoir un impact positif et mesurable sur la société et l’environnement. La taxonomie verte, lancée par la commission européenne en 2018, a pour objectif d’accompagner la réorientation des investissements vers des activités moins carbonées. Le « verdissement » des investissements est depuis en constante augmentation.

Par ailleurs, le rapport publié en 2021 par l’Autorité Bancaire Européenne (EBA), énumère un ensemble de recommandations dans le but de superviser et gérer les risques ESG dans les établissements de crédit et d’investissement. Alors si la taxonomie a été définitivement adoptée en 2020, l’intégration des risques ESG relève d’un tout autre défi. Il n’est pas fait mention de risques ESG mais de facteurs de risques ESG qui se répercuteront sur les risques financiers traditionnels. Ces facteurs de risques sont classés dans trois domaines : Environnement, Social et Gouvernance.

…des enjeux d’envergure

Une telle cartographie nécessite d’identifier, comprendre et gérer l’impact de ces nouveaux facteurs sur le cadre prudentiel existant. Par exemple, pour l’Environnement, le principe consiste à définir les conséquences d’un changement violent et brutal du climat sur la solvabilité des clients, la valeur des actifs financés, et in fine générer une baisse de la profitabilité des établissements financiers en impactant, via les canaux de transmission, les risques traditionnellement gérés dans le cadre prudentiel : risque de crédit, marché, liquidité et opérationnel.

C’est pourquoi, l’EBA préconise d’intégrer les risques ESG sur trois niveaux. Premièrement, sur la stratégie de la banque, en renforçant la résilience de leur business model sur des horizons à moyen et long terme. Autrement dit, un objectif de réorientation des politiques d’investissement vers des activités neutre en carbone. Deuxièmement, sur la gouvernance interne afin d’adapter et sécuriser les procédures et responsabilités de chaque activité de la banque. Par exemple, en adaptant les objectifs et les limites définis dans le cadre du credit risk appetite.

Troisièmement, sur l’intégration des facteurs ESG dans les outils de gestion des risques, afin d’identifier, mesurer et atténuer les nouveaux risques liés aux expositions de la banque. Comme la mise en place d’indicateurs afin de s’assurer que les objectifs et limites fixés dans le credit risk appetite sont bien respectés.

Impact stratégique et organisation de la banque

Ces nouvelles mesures tendent à inciter l’industrie financière à réorienter les flux de capitaux vers une économie verte. Cela implique une réorientation des politiques d’octroi et d’investissement en retirant les clients « trop carbonés » du portefeuille des banques et potentiellement influer sur leur produit net bancaire. Cette transition ne doit pas être brutale. Elle mérite d’être accompagnée sous peine de risquer une énième crise financière mondiale. C’est tout le business model et la stratégie des banques qui doivent être revus en intégrant les critères ESG.

Le risk appetite framework doit fixer des limites en adéquation avec les politiques économiques de durabilité afin de maîtriser leurs expositions face aux facteurs de risques ESG sur un horizon temps plus long terme. Opérationnellement, il faudra initier les chargés de clientèles afin qu’ils comprennent, intègrent ces critères ESG pour conseiller et accompagner leurs clients vers des activités « vertes ». Ils auront la responsabilité de collecter ces nouvelles données qui serviront le pilotage des risques ESG. Ces processus représentent un coût supplémentaire important pour les banques mais essentiel à la pérennité du système financier.

Autre point, l’intégration des facteurs ESG dans les outils de gestion des risques se révèle être complexe. Dans une logique prudentielle, il est impératif d’ajuster les exigences en fonds propres et les provisions des banques selon une appréciation précise des risques traditionnels et des facteurs de risques ESG. Cela passera par une revue complète des portefeuilles, en intégrant des pondérations en fonction de leur impact sur l’environnement et la société. Dans cette hypothèse, l’application d’un « sur-modèle » d’appréciation pour les risques ESG ne viendrait pas atténuer les risques traditionnels, sous peine de fragiliser la solidité des banques. Au contraire, il risque de venir les impacter à la hausse et diminuer leur rentabilité.

Un système financier plus résilient

En endossant la responsabilité de réorienter les flux de capitaux vers une économie neutre en carbone, les banques devront impérativement maîtriser ces critères ESG afin de sélectionner les investissements de demain. Cela leur permettra de s’aligner sur la politique de durabilité des accords de Paris et d’adapter leur bilan afin de se prémunir contre les risques liés au changement climatique en limitant les expositions non durables. 

Les banquiers pourront profiter de cette nouvelle typologie de risque pour renforcer leur rôle de conseil, mis à mal depuis plusieurs années avec l’open banking et l’apparition de nouveaux concurrents. La majorité des acteurs économiques ne sont pas au fait des actualités réglementaires. Une opportunité est offerte pour les banquiers traditionnels d’informer et de conseiller ses clients et futurs clients. Les banques pourront consolider la relation commerciale avec leurs clients historiques, en les accompagnant dans cette transition et acquérir de nouvelles parts de marché. Elles ont donc tout intérêt à s’emparer du sujet, logique commerciale essentielle dans un contexte de concurrence accrue, mais également d’un point de vue prudentiel afin de garantir la soutenabilité du modèle bancaire sur le long terme.

Par Romain Parinaud, Consultant Senior chez Square.

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