La Tribune
– le 30 mars 2022
Analytique & élections : une pratique récente
De nombreux domaines ont bénéficié des avancées du numérique et du Web 2.0. L’augmentation de la capacité de calcul des ordinateurs et du volume de données générées et exploitées a permis la création et le développement de nombreux produits et services, révolutionnant les secteurs économiques et l’organisation sociale. Au cœur de ces enjeux, une discipline : la science des données (Data Science), dont le but principal vise à extraire des connaissances à partir de cette masse considérable de données.
Un domaine en particulier a profité de cette véritable révolution dans les affaires numériques au cours des années 2010, le monde de la politique et ses campagnes électorales. L’exemple américain est riche d’enseignement, le pays précurseur du Web 2.0 l’a également été dans le domaine de l’analyse des données des élections. Lors de la présidentielle U.S. de 2012, opposant les candidats Barack Obama et Mitt Romney, les équipes de campagne de chaque candidat avaient alloué presque 80 M$ dans des campagnes publicitaires en ligne, dont l’efficacité repose notamment sur la capacité à cibler un profil spécifique d’électeur. La campagne électorale avait alors donné lieu au développement d’applications collectant des données de votes, utiles pour le suivi du taux de mobilisation de groupes d’électeurs spécifiques et leur ciblage par des messages d’incitation à se rendre aux urnes.
Lors de l’élection précédente (2008), la victoire de Barack Obama reposait déjà sur une stratégie de communication sur les réseaux sociaux mettant en scène les prémices de l’exploitation d’une masse considérable de données qui s’avéreraient alors un outil incontournable des campagnes électorales. Plus récemment et plus proche des enjeux électoraux français, l’élection présidentielle 2017 avait été l’occasion de déployer des méthodes similaires. Ainsi la campagne électorale menée par les équipes d’Emmanuel Macron reposait sur l’utilisation extensive du Big Data, avec par exemple l’outil de cartographie électorale proposé par la start-up française LMP (désormais eXplain).
Les méthodes du marketing numérique appliquées au citoyen
Si le marketing numérique vise à faciliter la vente de produits et services en exploitant les données de l’utilisateur, l’analytique électorale s’inscrit dans cette même philosophie où les produits marchands sont remplacés par les candidats et la clientèle cible par l’électorat.
Les méthodes et outils en pratique
Si ces nouvelles méthodes sont appelées à révolutionner la manière de réaliser des campagnes électorales, certains obstacles demeurent. Ainsi, elles nécessitent la mobilisation d’expertises poussées et l’accès à des sources de données volumineuses et variées (données démographiques, socio-économiques, géographiques, données d’utilisateurs des réseaux sociaux et autres applications…). En plus des difficultés propres à la collecte et au traitement des données s’ajoute la nécessité de les mettre à jour régulièrement, en effet les modèles prédictifs des campagnes électorales doivent mobiliser les données les plus récentes afin de fournir une information pertinente et précise pour les équipes de campagne.
Entre quête de légitimité et difficultés
Si le développement de cette pratique constitue un changement radical de paradigme pour la construction d’une stratégie électorale, elle n’en demeure pas moins émaillée de difficultés sur le plan légal et éthique, comme en témoigne certains scandales tels que celui de Facebook-Cambridge Analytica, où les données personnelles de plusieurs dizaines de millions de comptes Facebook avaient été utilisées sans le consentement explicite de leurs utilisateurs afin d’influencer leurs votes dans diverses élections, telle que la présidentielle U.S. de 2016.
La question de la légitimité de l’usage de certaines données demeure fondamentale, de même que l’influence, voire la manipulation que ces données pourraient créer sur une élection. Les questionnements éthiques entourant l’analytique électorale sont appelés à prendre une place toujours plus grande à mesure que ces outils feront l’objet d’un véritable plébiscite au sein des équipes de campagne.
En attendant que l’analytique électorale se démocratise, il conviendra d’évaluer l’impact réel de cette pratique sur le vote. En ce qui concerne la France, rendez-vous le 10 avril pour un début de réponse. « A voté ! »
Par Sofian Mzali , Consultant Senior Square.
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