La Tribune
– le 07 novembre 2022
Elle fait les gros titres depuis de nombreux mois maintenant : l’inflation bat des records dans la plupart des économies et mène à mal les politiques prudentielles mondiales.
Outre l’impact néfaste qu’elle a pour l’économie dans sa globalité, l’inflation et ses répercussions sont aussi un casse-tête pour les gestionnaires des risques, en particulier dans le risque de crédit.
Quelles sont donc les conséquences d’une telle tempête économique sur les crédits et quels en sont les risques associés ?
Un contexte économique et politique fragile
Avec une actualité riche et mouvementée depuis quelques années, les institutions bancaires et financières ont été challengées à maintes reprises.
La crise de la COVID-19, une demande toujours plus croissante, des chaînes d’approvisionnement fragiles donnant lieu à certaines pénuries, ou encore la guerre en Ukraine… Cette conjugaison d’événements impacte fortement l’économie mondiale.
De ce fait, les taux d’inflation de la plupart des économies mondiales croient à des niveaux non atteints depuis plusieurs décennies pour certains, dont l’Europe : des pays européens comme la Lettonie ont connu une inflation record de plus de 25% en août 2022.
Pour rappel, la cible visée par la Banque Centrale européenne (BCE) est de 2%, permettant une stabilité durable des prix et donc une économie en meilleure santé.
Devant un tel contexte, les régulateurs se trouvent contraints d’adopter des mesures drastiques afin de stopper la croissance effrénée de l’inflation : augmenter leurs taux directeurs.
Même s’il est prévisible que cela puisse avoir un effet bénéfique sur la crise actuelle (les rendements d’épargne seront plus élevés et les crédits plus chers), ce mécanisme a lui aussi des conséquences non négligeables sur l’activité de crédit des principales banques et institutions financières.
Inflation comme hausse des taux : un risque de crédit à prendre en compte
Si la hausse des taux apparaît comme la solution miracle à cette spirale inflationniste, elle comporte, elle aussi, des conséquences sur le risque de crédit que les gestionnaires des risques se doivent d’anticiper.
Tout d’abord, l’inflation a des effets néfastes sur l’activité de crédit et notamment sur la solvabilité des contreparties engagées auprès des banques si les salaires ne sont pas augmentés.
En effet, une hausse des prix réduit considérablement le confort financier des ménages comme des entreprises, apportant une difficulté supplémentaire dans le remboursement de leurs prêts.
Cela peut également les pousser à vouloir en contracter d’autres, ce qui dégrade donc leur situation financière et ajoute un risque supplémentaire pour les créanciers.
De plus, cela devient problématique également si les salaires augmentent avec l’inflation.
En effet, les contreparties pourraient être tentées à rembourser leurs prêts plus précocement, entraînant une baisse de versements et une perte financière pour les établissements financiers.
En parallèle, une hausse des taux des régulateurs est elle aussi à prendre en compte dans une politique de gestion des risques.
Même si l’objectif premier avec cette politique est de stabiliser les prix à des niveaux plus bas, le ralentissement économique peut provoquer la résurgence de prêts non performants, représentant une perte potentielle importante pour les banques.
En outre, même si les prêts à taux fixe n’étaient pas impactés par une hausse des taux, les prêts à taux variable peuvent être eux, de vraies bombes à retardement. Les intérêts dus par les contreparties concernées pourraient augmenter de façon importante, les positionnant dans une situation financière complexe.
Cela pourrait avoir des conséquences importantes notamment en matière de surendettement, rappelant la crise dévastatrice des subprimes.
Un contexte inédit pour les risk managers et les équipes de modélisation
Avec une inflation à plus de 10,7% en octobre pour l’Europe et faisant craindre à une potentielle récession, les acteurs bancaires se trouvent confrontés à une situation littéralement historique.
Même si depuis plusieurs années, la résistance des bilans bancaires est fréquemment étudiée lors de chocs macroéconomiques via les exercices réguliers de stress test* de l’EBA (European Bank Agency), les politiques de risque de crédit ont essentiellement été construites ces dernières années dans un environnement des prix relativement bas comparativement aux niveaux actuels.
Les règles de décision deviennent alors plus complexes, d’autant plus que les principaux modèles internes (notamment les modèles de notation IRB) sont calibrés sur des périodes ne prenant pas en compte de tels niveaux d’inflation.
Par ailleurs, de tels événements restent délicats à prédire d’un point de vue statistique étant donné leur caractère singulier et surtout avec des causes qui apparaissent au premier abord comme des événements isolés (la récente pénurie sur les semi-conducteurs en est un exemple).
Tout cela peut donc provoquer davantage de situations où les modèles sous-estiment ou surestiment le réel niveau de risque de la contrepartie dans un contexte comme celui-ci, donnant lieu à plus d’overrides** et des situations complexes pour les analystes crédit.
Cela peut donc représenter un potentiel coût en capital réglementaire beaucoup plus élevé pour les établissements bancaires.
Par conséquent, et comme à chaque crise, cela devient une problématique supplémentaire pour les régulateurs bancaires et les équipes d’audit, qui se doivent de contrôler la robustesse des modèles internes dans un tel contexte, mais également veiller à ne pas trop endommager le bilan prudentiel des établissements financiers afin d’endiguer le risque systémique.
On peut donc en conclure facilement que l’inflation est une problématique complexe en risque de crédit.
Cependant, les acteurs bancaires se trouvent aussi confrontés aux politiques prudentielles des régulateurs, qui apparaissent comme une solution miracle mais donnent en réalité du fil à retordre aux établissements financiers, devant élaborer une stratégie de couverture des risques dans un environnement économique volatile et changeant.
Par Alexandre Grauzam, Consultant Square Management.