Revue Banque
– le 4 avril 2023
Une convergence sur la corruption
La question de la lutte contre l’argent sale en circulation en Europe n’est pas nouvelle. En revanche, les dispositions prises par les États sont encore disparates. Cet écart tend néanmoins à se réduire du fait d’un mécanisme d’enrichissement mutuel.
La construction d’une position européenne harmonisée relative à la corruption se fait progressivement, et à l’échelle des temps de l’Europe. Néanmoins, cette construction est en route depuis 1993, date de la première version de la loi française dite « Sapin », suivie quatre ans plus tard par la fameuse convention de l’OCDE de 1997. Les Italiens promulguèrent leur loi en 2001 et les Anglais établirent, en 2010, leur UK Bribery Act. Et ainsi de suite pour les autres États. Entre-temps, l’OCDE a continué d’établir des recommandations en guise de mise à jour de la convention, ratifiée aujourd’hui par 44 signataires, et le Conseil de l’Europe a publié des normes sur des champs spécifiques.
Le GRECO, dans son rapport publié en 2017, a évalué le niveau de déploiement des instruments juridiques de lutte contre la corruption, et salué non seulement les travaux mais surtout les résultats du dispositif français. Ainsi, la loi Sapin 2, du fait de son équilibre et de sa profondeur, pourrait inspirer le Parlement européen pour la définition d’un probable « paquet réglementaire » dédié à la corruption.
Pour ce qui est de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les dispositions nationales ont connu un coup d’accélérateur, pour le premier avec la réplication des mécanismes américains de déclaration, et pour le second avec les évènements terroristes, en particulier ceux de New York, Londres, Madrid et Paris. L’origine supranationale même des mesures de sanction et de gel des avoirs a commandé leur homogénéité au sein de l’Union. En outre, le législateur européen est à l’initiative de nombreuses mesures, dont les plus emblématiques sont les fameux « paquets réglementaires » de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, que les États membres n’ont plus, pour ainsi dire, qu’à appliquer — les six fameuses directives AML et les règlements associés. En cela, le législateur européen a permis de construire rapidement un dispositif en cohérence avec les circuits qu’il entend combattre : transnational, homogène et continu.
Dès lors, les dispositifs dits de LCB/FT et d’anticorruption devraient être convergents et même symbiotiques. Dans cette perspective, la Commission européenne indique, dans la présentation de ses politiques en vigueur sur la lutte contre la corruption, que « la Iégislation relative à la lutte contre la fraude, la corruption et d’autres activité illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union est également une pierre angulaire du cadre politique de l’UE en matière de lutte contre la corruption ». En France, la loi Vigilance de 2017 met d’ailleurs elle-même en perspective l’ensemble de ces luttes, puisqu’elle rappelle dans son exposé des motifs4 que la majorité des atteintes à la dignité humaine, à l’environnement, et plus largement un grand ensemble de crimes prennent leur source, ou sont rendus possibles, par des faits de corruption.
L’ère de la convergence des dispositions et des efforts est ainsi advenue.
Le rôle commun des banques
Les différentes dispositions législatives des États européens n’ont toutefois pas manqué de s’entendre sur un point commun : celui du déport d’une charge de travail conséquente vers les acteurs financiers eux-mêmes.
S’il existe une disparité entre les États concernant la création d’organes publics chargés du contrôle de l’application des réglementations de lutte — certains préférant s’appuyer sur leurs services préexistants plutôt que d’en créer -, nul n’a manqué de définir un rôle nouveau des établissements financiers en appuyant la légitimité de ces dispositions sur l’autel de la responsabilité.
Les banques étant des intermédiaires indispensables au transit des flux monétaires, l’ensemble des législateurs ont vu en elles les acteurs tout désignés de l’application du devoir de vigilance, en omettant sciemment de définir les moyens à mettre en œuvre pour s’y conformer.
Pour ce qui concerne la lutte contre la fraude, les directives à l’échelon européen n’existent pas clairement en dehors de celles émises par l’OCDE. En revanche, les questions liées aux mesures de sanctions et d’embargos sont suivies de plus près par la Banque Centrale Européenne (BCE). Origine de la demande oblige, le régulateur européen chemine de concert avec le législateur.
L’élément fondateur de toute mesure de lutte au sein des établissements financiers demeure la connaissance de la clientèle. Au-delà de la simple documentation légale de la contrepartie, la connaissance de l’activité sous-jacente offre la possibilité d’une lecture critique des flux financiers transitant dans les livres des établissements financiers. Cette connaissance de la clientèle est appelée par les vœux de l’ensemble des régulateurs, que ce soit pour la lutte contre l’évasion fiscale, la fraude, la corruption, les trafics notamment de drogue ou d’êtres humains ou encore le terrorisme. Dans ce mouvement, les éditeurs de solutions numériques de connaissance documentaire, de criblage et de filtrage, ont fait converger les mécanismes pour les mutualiser et offrir des outils aussi unifiés que possible.
Enfin, les acteurs du système financier les plus avancés continuent de s’appuyer sur leur connaissance fine de la clientèle pour augmenter le niveau de protection des actifs contre les fraudes externes.
La cartographie des risques réemployée
Outre la connaissance de la clientèle, un outil est repris par l’ensemble des réglementations : la cartographie des risques. La loi Sapin 2 a plus particulièrement mis en exergue ce dispositif en le nommant explicitement, et l’évaluation de la loi menée en 2022 l’a consacré dans son caractère utile et opportun. La loi Vigilance l’a repris elle aussi, et les autorités de tutelle, depuis l’Autorité de contrôle prudentiel (ACPR) à la BCE émettent régulièrement des recommandations quant à leur réalisation.
Omniprésente dans les établissements financiers depuis l’avènement de Bâle 2 et la mise en exergue du risque opérationnel, la cartographie des risques constitue le socle de toute politique et de tout dispositif d’encadrement des risques, grâce au triptyque « identification, quantification, réduction ».
Ainsi, les exercices de cartographie menés chaque année par les établissements financiers gagnent à être étendus à différents thèmes dans un procédé de mutualisation, en capitalisant sur une méthode reconnue comme robuste et pérenne.
Vers une consolidation des démarches
À l’instar des démarches de connaissance de la clientèle et de cartographie des risques, les dispositions prises et mises en œuvre en réponse aux réglementations successives sont de plus en plus réemployées et consacrées par les réglementations ultérieures. À titre d’exemple, le dispositif de recueil et de traitement des alertes d’atteinte à la probité créé par la loi Sapin 2 est devenu un pilier de la loi Vigilance, et désormais, son extension à d’autres crimes et délits — trafic d’êtres humains, travail des enfants, pollution de l’environnement, harcèlement — devient naturelle. Les différentes législations qui ont vu le jour depuis le milieu des années 1990, tant en France que dans les États membres de l’Union européenne, voire au niveau de l’Union elle-même, ont appris mutuellement grâce aux mécanismes de supervision et d’évaluation fréquents mis en place à différents niveaux.
L’avenir des instruments de lutte contre l’argent sale, et donc de la préservation des conditions de l’exercice d’une démocratie digne de ce nom, s’écrit dans une logique de mutualisation et d’harmonisation. L’heure est venue des avoir capitaliser sur les dispositifs développés pour les rentabiliser, y compris dans une optique de création de valeur, grâce à leur réemploi à des fins de qualité de service.
Par Jérôme Husson, Principal Square Management.
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