Le Courrier Financier
Malgré une réglementation prudentielle bien plus sécurisante qu’en 2008, un tel scénario pourrait tout de même affecter les banques et la stabilité financière. D’autant plus que ceci intervient dans un contexte de projet de finalisation de Bâle III, qui vraisemblablement, devrait réévaluer une appréciation du risque du marché de l’immobilier considérée minimisée, et mécaniquement transformer les fondamentaux du financement de ce marché.
Tensions inflationnistes et bulle immobilière
Les dernières projections de l’INSEE indiquaient une inflation de 3,6 % en 2022, chiffre qui pourrait être revu à la hausse dans les prochaines semaines. La situation géopolitique vient donc s’ajouter à une crise sanitaire dont nous ne sommes pas encore sortis, et devrait accentuer de façon durable cette période de hausse des prix. Les ménages en seront les premières victimes avec une réduction immédiate de leur pouvoir d’achat, et donc par rebond, entacherait leur capacité de remboursement.
En parallèle, les deux dernières décennies ont été marquées par une nette progression des prix immobiliers. Toujours selon l’INSEE, ces derniers ont été multipliés par trois sur les 20 dernières années, progression bien supérieure aux revenus. Pour faire face à cette hausse et pour parvenir à accéder à la propriété, les ménages n’ont pas eu d’autres choix que d’allonger la durée moyenne de remboursement et d’augmenter leur taux d’endettement. Cette situation rend davantage sensibles les ménages à la pression inflationniste, laissant entrevoir un risque de crédit.
Un risque systémique pour les banques ?
Ensuite, et compte tenu des spécificités françaises du financement du marché de l’immobilier comme le principe de cautionnement, le secteur financier dispose d’un environnement réglementaire accommodant. Prudentiellement, les banques françaises, majoritairement utilisatrices des modèles internes dans le calcul des exigences en fonds propres, observent des taux de défaut particulièrement faibles, permettant des exigences peu contraignantes en capital ou en provisionnement.
Cependant, le passé ne présage pas nécessairement le futur. Certes, les observations statistiques démontrent que le marché de l’immobilier français est peu risqué. Néanmoins, nous ne connaissons pas avec certitude les impacts de la situation sanitaire, des tensions géopolitiques et des pressions inflationnistes sur ce marché. La baisse du pouvoir d’achat générée par une hausse de l’inflation, combinée à un haut niveau d’endettement, pourrait représenter un risque de crédit significatif pour les établissements bancaires. Certains ménages pourraient ne plus être en mesure de rembourser leurs prêts, et une augmentation des défauts pourrait être à anticiper.
Comme fait aggravant, pour faire face à cette inflation galopante, la BCE devra vraisemblablement prendre la décision d’augmenter ses taux directeurs, réduisant ainsi l’accessibilité au crédit et mécaniquement impacter la dynamique prix sur le secteur. L’accumulation d’un choc d’offre et d’un choc de demande sur le marché de l’immobilier, associée à une inflation pénalisant le pouvoir d’achat, pourrait très largement venir déséquilibrer la solvabilité des emprunteurs, tout comme la valorisation des biens financés et mis en garantie par ces mêmes emprunteurs. Ce qui, irrémédiablement, présente un risque structurel pour le système financier.
Des exigences réglementaires…
Il n’en demeure pas moins qu’une hausse durable de l’inflation pourrait accroître le risque de crédit de manière imprévisible, obligeant les banques à provisionner davantage pour se couvrir des futurs défauts. Cet impact serait d’autant plus brutal que le marché de l’immobilier est considéré traditionnellement — et statistiquement — peu risqué, donc aujourd’hui peu provisionné. Cela amènerait à un besoin de provisionnement marginal important en cas de retournement.
Par ailleurs, et au regard des récentes évolutions des normes de Bâle 3, le secteur de l’immobilier semble perdre son statut de « sans risques » aux yeux des régulateurs. La mise en place des output floor et de la revue des traitements prudentiels liés au marché de l’immobilier viendraient pénaliser les calculs d’exigences en fonds propres des établissements. Et parce que la majorité des banques françaises réalisent leurs calculs en méthodes internes, elles seraient particulièrement pénalisées. En plus d’un effet conjoncturel lié à la dégradation du portefeuille immobilier, les banques subiraient donc un effet méthodologique supplémentaire sur le niveau de fonds propres réglementaires exigibles.
…qui accentuent la procyclicité du risque ?
Cela aurait mécaniquement pour conséquence d’aggraver le choc de demande en limitant l’accès au crédit des investisseurs sur ce marché. Ensuite, parce que les provisions représentent une grande partie des dépenses, elles affecteront la rentabilité des banques, déjà considérée comme insuffisante avant crise. Les dividendes futurs pourraient fortement baisser et accentuer la baisse des actions bancaires, fragilisant ainsi leur solvabilité.
Au final, le secteur pourrait connaître de fortes turbulences dans les mois à venir, d’autant plus que les gardes fous réglementaires sont probablement plus laxistes que sur d’autres marchés. La commission européenne, ayant bien conscience du problème, planche actuellement pour muscler la sécurisation de ce marché. Attention néanmoins de trouver le bon équilibre, et de faire en sorte que le remède ne soit pas pire que le mal.
Par Quentin Lajaunie, Chercheur Square et Morgan Teisset, Senior Manager Square.
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