Silicon
– le 09 novembre 2021
Les outils d’exploitation de la donnée client et d’open data proposent des solutions efficaces pour finement étudier le marché et ainsi identifier des opportunités basées sur de l’observation, et donc du concret. Pour illustrer cela, des études démontrent le rapport de cause à effet entre “l’accès à l’information” et “l’amélioration du processus de décision”, permettant aux directions de faire des choix holistiques et éclairés1.
Mais au-delà de cet accès à la donnée, il existe des freins dans la capacité des décisionnaires à la traiter et ce, peu importe sa qualité ou sa quantité 2 . Que ce soit la création de nouvelles offres, l’investissement publicitaire ou la protection juridique, les décisions en entreprise sont encore trop dictées par des biais cognitifs (appelons-les “croyances”) : “on a toujours fait comme ça”, “ils font ça aux Etats-Unis”.
Technologiquement, les entreprises ont ce qu’il faut pour promouvoir l’analyse de données. Et elles semblent vouloir sauter le pas puisque le marché des Customer Data Platform, atteignant déjà les $2,1 md, est prévu d’atteindre les $15,1 md d’ici 20263 , soit une multiplication du marché par sept en 5 ans. Ce qui leur manque relève encore de l’humain : en plus d’acquérir des outils techniques, faut-il arriver à promouvoir une culture de la pensée critique ! En somme, les entreprises gagneraient à inculquer certains préceptes de la zététique dans leur fonctionnement.
La zététique, ou « l’art du doute »4, peut se résumer par la remise en cause systématique des croyances ou a priori et par la seule acceptation de la preuve. Au départ utilisée pour analyser les phénomènes paranormaux et les pseudosciences afin d’y apporter une réponse rationnelle et scientifique, cette approche interdit à son utilisateur d’arrêter son jugement à ses simples fantasmes et croyances.
La zététique connaît un franc succès sur internet via des vulgarisateurs qui trouvent un public auprès de ceux qui cherchent à déceler le vrai du faux et ainsi aiguiser leur esprit critique. Le parallèle avec le monde de l’entreprise peut sembler saugrenue jusqu’à ce qu’on étudie les comportements des preneurs de décisions.
En effet, la culture d’une entreprise peut, à elle seule, être source d’un grand nombre de biais pour ses collaborateurs. Par exemple : l’obligation de prendre des décisions rapides, penser à son évolution individuelle ou simplement répondre à des exigences hiérarchiques; ne sont que des exemples parmi tous les vecteurs d’impartialité, sources de jugements biaisés.
La psychologie recense plus de 180 biais, voyons ensemble les trois qui prédominent dans le milieu professionnel et qui peuvent être de vrais fléaux pour la pérennité d’une entreprise.
> Le biais de confirmation : un individu aura tendance à valider sa stratégie ou ses prises de décision auprès « d’instances » (études, personnes, concurrence…) qui le conforteraient dans ses choix écartant ainsi toutes celles qui le contrediraient.
> L’escalade d’engagement. Souvent à l’origine des projets qui sont maintenus pour la seule raison qu’un trop gros budget a été dépensé pour les arrêter, l’escalade d’engagement enferme un groupe d’individus dans une chaîne de décisions qui malgré
les mauvais résultats et les signaux d’alerte, viennent tour à tour conforter une prise de position initiale.
> Le biais de statu quo ou la peur du changement. Un des principaux biais combattus par la conduite du changement dans chaque projet qui, à base de communications ciblées et d’efforts pédagogiques, tente de minimiser son impact sur le succès de
l’initiative.
Il est donc primordial pour les entreprises d’engager un virage culturel pour s’assurer de combattre tous les obstacles à l’objectivité et mettre en place les bases d’une entreprise prête à exploiter les apports de la donnée. Nous pouvons nous inspirer des bonnes pratiques identifiées chez les entreprises qui ont réussi à opérer ce genre de transformations structurelles pour, par exemple, devenir Agiles.
En plus de l’adoption d’outils techniques, les directions doivent repenser l’ensemble de l’organisation en commençant par les fonctions RH qui doivent promouvoir les formations liées à l’analyse de données et recruter des nouveaux collaborateurs ambassadeurs de l’exploitation de données.
Ensuite, à l’image des squads composées de chaque profil nécessaire à une gestion de projet digital, les équipes peuvent intégrer en leur sein un data scientist et ainsi rapprocher l’analyse data de la réalité business.
Enfin, l’adoption d’une culture data se fera si les employés peuvent également en bénéficier. Utilisons la donnée client et l’open data pour mieux adresser un marché, mais également pour aider les équipes à mieux travailler. Rappelons que la performance commence par l’efficacité de ses collaborateurs.
Enfin, la condition la plus importante reste l’engagement de l’ensemble du top management dans cette mouvance. La “tête” de l’entreprise doit changer sa façon de fonctionner pour encourager la pensée critique des collaborateurs et tenter de minimiser l’approche HIPPO (Highest Paid Person’s Opinion) qui à elle seule, laisse place à un trop grand nombre de biais en entreprise.
La culture de la pensée critique et l’exploitation de la donnée sont deux enjeux intimement liés qui doivent être adressés parallèlement et qui in fine bâtiront un socle sain et solide vers l’innovation. Et les entreprises le savent puisque d’après le rapport “Future of Jobs” 5 publié en 2020, la pensée critique apparaît comme un des soft skills les plus recherchés par les entreprises d’ici 2025.
1 Nutt & Wilson, Handbook of Decision Making 2010
2 A. Merendino, S. Dibb, M. Meadows & al., Big Data, Big Decisions: The Impact of Big Data on Board Level Decision-Making 2018
3 Reportlinker, The customer data platform market size to grow from USD 3.5 billion in 2021 to USD 15.3 billion by 2026, at a Compound Annual Growth Rate (CAGR) of 34.6%, 2021
4 Selon Henri Bloch, notamment auteur de L’Art du doute ou Comment s’affranchir du prêt-à-penser, 2008
5 World Economic Forum Future of Jobs, 2020
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