Le Courrier Financier
– 31 mai 2023
Depuis la faillite de Lehman Brothers, le secteur bancaire a connu d’autres crises. Faut-il craindre un nouveau choc systémique en 2023 ? Pierre Lardenois, Consultant Senior chez Square Management, partage son analyse — en exclusivité sur Le Courrier Financier.
La chute de Lehman Brother en 2008 a marqué un bouleversement sans précédent dans le monde de la finance. Depuis, plusieurs banques de grande envergure ont à leur tour connu des difficultés financières de diverses natures. Il peut alors être légitime de se poser la question suivante : sommes-nous sur le point de connaître à nouveau le même type de cataclysme que celui vécu auparavant avec Lehman Brothers en 2008 ? Ou au contraire existe-t-il aujourd’hui des mécanismes qui permettent de l’éviter ?
D’autres banques ont connu des crises graves
Lorsqu’une banque en crise fait la une des journaux, l’évènement déclencheur est souvent survenu dans les activités de banque de financement et d’investissement (BFI) au sein d’une banque systémique, comme Lehman Brothers. Cela signifie que, du fait de leur taille et du montant de leurs actifs sous gestion, une faillite de leur part impacterait négativement l’ensemble du système financier mondial.
Tout comme Lehman Brothers, de nombreuses banques ont été fragilisées par des expositions à des risques de marché importants. C’est dans le contexte de la crise des subprimes que Lehman Brothers a lourdement payé sa forte exposition sur les marchés de crédit, puisque la banque avait beaucoup de positions sur les prêts immobiliers américains à risques, notamment en étant un vendeur majeur de protections sur les marchés via des dérivés comme les Credit Default Swaps (CDS).
Depuis, plusieurs banques systémiques ont été également confrontées à des expositions de marché importantes, soit sur un type de produit donné, soit ayant par la suite fait le choix d’avoir investi sur des contreparties (fonds d’investissements ou corporates) ayant fait faillite. Ces pertes ont pu conduire au déclenchement du cycle infernal de perte de confiance des contreparties interbancaires, de baisse spectaculaire de leur cours en bourse, ainsi que d’un impact dans la presse. Elles génèrent un risque de réputation, et détériorent encore plus la confiance des investisseurs en ces groupes.
Bien que l’ampleur du choc qu’aurait provoqué la faillite soudaine de ces établissements rappelle le cas Lehman Brothers, plusieurs différences entre ces deux cas viennent contredire la thèse d’un nouveau choc systémique.
Gouvernance et contexte de crise divergent
Jusque très tard, et malgré une situation financière intenable, les dirigeants de Lehman Brothers sont restés dans une position de déni. Ils ont sous-estimé le ralentissement du marché immobilier américain et refusé plusieurs plans d’action proposés, comme une fusion. Ce n’est qu’à partir de l’été 2008 que la banque envisage de s’adosser. Mais il est déjà trop tard : la crise de liquidité s’aggrave chaque jour avec l’augmentation des appels de marge demandés par les contreparties, et les investisseurs peinent à formuler des offres.
Malgré le fait que la direction de Lehman ait lancé deux augmentations de capital (les 2 et 9 juin 2008) dans le but d’éponger les lourdes pertes subies, aucune banque commerciale n’a été en capacité de formuler une offre en si peu de temps. La banque ne résista pas à une crise de liquidité, fragilisée par sa structure de financement basée sur des repos très court terme et une insuffisance de collatéral accepté par ses contreparties.
Aujourd’hui, les principales banques systémiques bénéficient d’une situation politique bien plus favorable. D’une manière plus générale, 14 ans d’écart entre ces crises séparent deux époques économiques radicalement différentes dans leur gestion des crises.
Historique réglementaire et de prise de conscience
Le secteur financier a connu son essor à partir des années 1980, période où Ronald Reagan amorce une déréglementation de l’économie : l’initiative économique est libérée tandis que l’interventionnisme de l’Etat est largement freiné. Viennent ensuite les années 1990, avec un essor considérable des produits dérivés. A ce moment-là, le concept de « too big to fail » était dans tous les esprits : la chute d’un établissement mondial serait nécessairement empêchée par l’intervention des Etats. L’histoire montre qu’il n’en a pas toujours été ainsi.
La crise mondiale de 2008 a mis en valeur les insuffisances des exigences Bâloises existantes, ce qui a provoqué un renforcement de ces réglementations. En décembre 2010, les accords Bâle III sont ainsi publiés, dans le but d’améliorer la qualité et la quantité des coussins de sécurité (fonds propres, liquidités) détenus par les banques.
Les régulateurs imposent aujourd’hui aux banques la fourniture d’états plus harmonisés avec une exigence croissante en termes d’exhaustivité des risques couverts et des données reportées. L’objectif est tout autant de détecter aussi tôt que possible la survenance de problèmes, que de responsabiliser encore plus les banques sur la gestion de leurs risques.
Les deux principaux ensembles de rapports exigés des banques, les reportings financiers (FINREP) et prudentiels (COREP), sont revus régulièrement pour préciser et compléter les données demandées en fonction de l’émergence ou de la prise de conscience de nouveaux risques (Covid, risques climatiques). Ces états comportent en particulier des ratios de solvabilité et de liquidité assortis de minimas réglementaires contraignants et exigeants. Les ratios de liquidité LCR (Liquidity Coverage Ratio) et NSFR (Net Stable Funding Ratio) auraient ainsi alerté bien plus tôt sur la dégradation de Lehman Brothers.
Ce jeu d’indicateurs réglementaires dit « de pilier I » est complété par une supervision prudentielle plus rapprochée. Ce pilier II joue désormais un rôle capital dans l’amélioration de la résistance. Les superviseurs peuvent ainsi challenger en continu tout le cadre de gestion des risques et imposer des limites adaptées au contexte propre de chaque établissement. Ils s’appuient sur les stress tests organisés tous les deux ans pour comparer les banques entre elles et assurer la solidité d’ensemble du système financier européen.
Vers l’union bancaire à l’échelle européenne
A l’échelle Européenne, il a été mis en place en 2014 une union bancaire afin de s’assurer que les banques sont suffisamment solides pour faire face aux crises financières. Il s’agit de prendre les mesures au plus vite si tel n’est pas le cas, pour éviter tout propagation non contrôlée d’un évènement d’ordre systémique. Le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) a pour objectif de maintenir cette stabilité du système financier en cas de crise majeure. Il est constitué du Conseil de Résolution Unique (organe décisionnel) et du Fond de Résolution Unique (FRU), alimenté par les contributions du secteur bancaire.
Concrètement, les établissements financiers ont maintenant l’obligation de préparer un plan de rétablissement (afin de palier une détérioration significative de leur situation financière) et de résolution (préparer des mesures de banqueroute progressives et ordonnées). Comme exemples d’actions type faisant partie de ces plans, nous pouvons citer les levées de fonds et les changements stratégiques radical de leurs activités, en diminuant celles dites risquées ou consommatrices de précieuses ressources.
En théorie, ces dispositifs européens sont efficaces pour pallier des risques financiers de grande ampleur. En pratique, ces dispositifs sont jeunes. Le cadre de résolution des banques n’est règlementairement établi que depuis 2016. Ils sont en cours d’implémentation.
Le Conseil de Résolution Unique est aujourd’hui très attentif à ce que les banques démontrent leur capacité à agir sur des processus complexes dans la gestion de leur bilan, dans l’ajustement de relations contractuelles entre acteurs financiers et dans l’élaboration de scénarios de réponses à des crises dont nous ignorons a priori d’où et quand elles émergeront. C’est bien l’opérationnalisation de ces dispositifs qui est maintenant un enjeu clé pour rendre le système bancaire capable de poursuivre la fourniture des services critiques pour la Nation.
Par Pierre Lardenois, Consultant Senior chez Square Management.