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Finyear

– le 20 janvier 2021

La technologie de rupture blockchain apporte des innovations dans certaines opérations telles que les security token offering (STO) et la monnaie digitale de banque centrale (MDBC). Dans ce cadre d’évolution technologique, les régulateurs sont tributaires des innovations technologiques, en apportant leur lot de nouveautés réglementaires, tout en menant une analyse d’impact sur les réglementations existantes, avec comme ambition ultime la mise en avant du principe de neutralité technologique.

1) Définition rapide de la blockchain

La blockchain ou « chaîne de blocs » est une technologie de stockage et de transmission d’informations. Elle fonctionne sur la base d’enregistrement par bloc contenant des transactions. Lorsque celui-ci est validé, il rejoint la chaîne formée par les blocs précédents. La technologie blockchain permet de faciliter certains modes de financement déjà existants mais en crée aussi de nouveaux, avec une incertitude juridique variable.

2) Présentation des innovations technologiques avec les risques induits

Parmi les modes de financement apparus avec la blockchain, les STO ou Security Token Offering, qui reprennent le principe d’une ICO (Initial Coin Offering), méthode de levée de fonds via l’émission d’actifs numériques échangeables contre des cryptomonnaies durant la phase de démarrage d’un projet. A la différence d’une ICO, une STO est une opération avec émission de jetons de titres auxquels sont attachés des droits juridiques de l’investisseur sur l’entreprise.

Dans ce même cadre d’innovation technologique, La Banque de France a lancé début 2020 un programme d’expérimentations de monnaie digitale de banque centrale (MDBC). Il s’agit d’une monnaie accessible largement, digitale, émise par une banque centrale et basée sur un système de tokenisation. Elle serait déclinée en une monnaie centrale dite « de gros », utilisée exclusivement par la banque centrale et les banques commerciales ou d’autres institutions financières, et serait créée via une technologie de registre distribué, comme la blockchain. Cette monnaie serait déclinée également en une monnaie centrale dite « de détail », utilisable par le grand public. Dans ce cas, le recours à une technologie de registre distribué ne serait pas forcément nécessaire.

Dans cet univers technologique et réglementaire mouvant, des initiatives par des établissements bancaires sont menées, tels que : Tokeny + Euronext, SDX, JP Morgan + Consensys, Hong Kong Monetary Authority + Bank of China + Monetary Authority of Singapore ou encore Paxos + Broadridge. Au niveau national, relevons les initiatives menées par Société Générale-Forge. Elle intervient sur des actifs numériques tels que les utility tokens, lorsque des clients corporate souhaitent mener des tests de crowdfunding ou d’utilisation de token pour leur propre activité, les security tokens, à destination des acteurs financiers (émetteurs ou investisseurs) et aussi les settlement tokens, pour le déploiement de la MDBC. L’expertise de Société Générale-Forge s’est illustrée en avril 2019, par l’émission d’obligations de financement de l’habitat via blockchain (100 millions d’€) et en mai 2020 par le montage d’une opération totalement compensée par une MDBC émise par la Banque de France (première mondiale).

3) Enjeux de l’adaptation réglementaire pour les régulateurs

Actuellement, ces opérations sont encadrées par l’ordonnance dite Blockchain relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) pour la représentation et la transmission de titres financiers. Ensuite, l’ANC a publié un règlement détaillant les modalités de comptabilisation des opérations d’ICO. En mai 2019, la loi Pacte a initié la mise en place d’un cadre spécifique, se déclinant essentiellement autour du visa ICO (Initial Coin Offering) et du régime PSAN (Prestataires de Services sur Actifs Numériques). En décembre 2020, le gouvernement a présenté une ordonnance venant renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) applicable aux actifs numériques. Et le règlement de l’ANC a été homologué, qui vise à clarifier notamment les différents traitements comptables à appliquer aux opérations relatives aux services sur actifs numériques.

En parallèle de ces nouvelles réglementations, il y a lieu également d’analyser l’impact de ces innovations technologiques sur les réglementations existantes. Par exemple, s’agissant de l’émission de security tokens, la règlementation prospectus apparaît compatible. Ou encore, au regard de ce que permet le règlement CSDR, de réfléchir à moyen terme à la possibilité pour des titres financiers inscrits dans un DEEP de revêtir la forme au porteur. Ainsi l’AMF a publiée en mars 2020, une analyse juridique afin de vérifier les conditions dans lesquelles la règlementation financière a vocation à s’appliquer aux security tokens qui sont juridiquement des instruments financiers. L’AMF propose ainsi de créer au niveau européen un Laboratoire digital, de préciser dans une position les contours des notions de plateforme de négociation et de tableau d’affichage et de clarifier le fait que, à droit constant, les titres financiers inscrits dans une blockchain sont des titres au nominatif.

Parmi les réglementations à venir, un projet de réglementation européenne spécifique aux crypto-actifs a été publié le 24 septembre 2020 par la Commission Européenne : MiCa (Markets in Crypto-assets). Celle-ci couvre des domaines tels que l’offre au public et l’admission aux négociations des crypto-actifs, la fourniture de services sur crypto-actifs par des prestataires (CASP) ainsi que la prévention des abus de marché sur crypto-actifs. En octobre 2020, la Banque Centrale Européenne a lancé une consultation sur la MDBC avec un projet qui devrait aboutir à mi-2021. Les discussions à venir étant davantage orientées sur les modalités d’implémentation technique telles que la qualification légale, le mode de distribution, le rôle des dépositaires ou les services complémentaires par rapport à la monnaie traditionnelle (fonctions de règlement automatique ou fiscalement intégrées). A côté de cela, des amendements sont attendus du MiFID 2 ainsi que la publication d’une guidance ; et aussi une analyse complémentaire sur les opérations d’émission de security tokens au regard de la réglementation CSDR.

Par neutralité technologique, on entend que la réglementation doit faire abstraction des technologies supportant les opérations à encadrer pour ne s’intéresser qu’aux principes à défendre. Dans notre exemple, la technologie de blockchain a institué le fait de ne plus recourir à un tiers de confiance pour valider le transfert de propriété, mais de partager cette responsabilité sur une communauté de membres appelés mineurs, au travers de consensus. Or la réglementation actuelle ne mentionne que la façon de parvenir au transfert de propriété via un tiers de confiance. La réglementation étant tributaire de la technologie, deux approches pour l’actualiser sont possibles : soit de compléter les textes existants quand il est fait référence à des anciennes technologies, soit de chercher le dénominateur commun aux anciennes et nouvelles technologies. Dans le cas d’opérations de financement, il s’agit de préciser le niveau attendu des deux principes fondamentaux que sont l’intégrité des marchés et la protection des investisseurs.

Par Laurent Lanzini, senior manager chez Square.

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