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Environnement Magazine

– le 15 septembre 2022

La relation entre nature et finance ne peut plus être ignorée : presque 50 % du PIB mondial repose sur la biodiversité. Seulement, encore peu d’acteurs économiques ont conscience qu’ils seront directement impactés par leurs propres dommages sur les écosystèmes. 
La biodiversité fait référence à tous les êtres vivants sur Terre : leurs diversités, leurs génétiques, leurs milieux et modes de vie. Cela ne fait que 30 ans que ce concept a fait son entrée dans un texte international, La Convention sur la Diversité Biologique au cours du Sommet de la Terre au Brésil, qui en a fait une question d’intérêt commun. 

En 2019, l’IPBES (1) explicite l’idée que le système de production à l’échelle mondiale a besoin de la biodiversité pour mener ses activités de manière pérenne (2). De façon plus spécifique et d’après une estimation de la Banque de France (3), “42% du portefeuille de titres (4) détenus par les institutions financières françaises, émis par des entreprises, seraient fortement ou très fortement dépendants d’au moins un service écosystémique” (5).

La diversité biologique représente donc à la fois une source de risques et une source d’opportunités, qu’il convient de réduire ou de favoriser.

La valeur économique des services rendus par la nature

Selon une étude du PNUE (6), du FEM et de L’Initiative sur l’économie de la dégradation des terres parue l’an passé, il faudrait investir plus de 500 milliards de dollars pour couvrir la perte que représente actuellement la dégradation des écosystèmes, alors que seulement 133 milliards de dollars lui sont consacrés (7). Pourtant, d’après des chiffres publiés par l’OCDE (8) en 2019, notre société aurait tout à y gagner sachant que la valeur des bénéfices fournis par la diversité biologique à la société serait d’environ 135 000 milliards de dollars (9).

L’explication des pertes par le risque pour les entreprises et leurs investisseurs

Pour les organisations, la prise en compte de ce risque de biodiversité doit être considéré sous ses trois angles : le risque physique, le risque de transition et le risque de réputation.

Le risque physique est lié à l’approvisionnement en ressources que constituent les écosystèmes : les pollinisateurs pour l’agriculture, l’eau pour les industries chimiques et alimentaires etc. Rappelons d’ailleurs, que si cinq des neuf limites planétaires définies en 2009 (10), ont déjà été dépassées, dont celle de l’intégrité de la biosphère, le 6 avril dernier une étude publiée dans Nature Reviews Earth & Environment (11), a révélé que celle du cycle de l’eau venait également d’être franchie. Si l’un des produits et services, en amont de la chaîne de valeur est déstabilisé, l’activité économique s’en voit perturbée. Cette déstabilisation économique entraîne une fragilité financière au niveau de l’entreprise (difficulté d’approvisionnement, réduction des marges…) et donc de leur capacité à faire face aux obligations (remboursement de crédit, impayés plus récurrents et plus importants, dévalorisation des garanties…). Cela impacte à terme les institutions financières pour qui il est alors plus risqué d’investir dans ces activités.

Pour spécifier le risque de transition, prenons l’exemple d’une entreprise agricole qui aurait un fort impact sur la biodiversité. Celle-ci est alors directement exposée à de possibles évolutions de la production, de la distribution et de la consommation, que ce soit en raison d’un contexte de réformes réglementaires allant dans ce sens ou d’une modification de la société. En ce qui concerne la production, on pourrait lui interdire d’utiliser des agents pesticides qui réduisent la diversité des espèces sur un territoire donné. Autre exemple vis-à-vis de la distribution, la loi économie circulaire (12), passée en février 2020, interdit à compter du 1er janvier 2022 la vente des fruits et légumes emballés sous plastique. Enfin, on note une tendance de plus en plus marquée vers des modes de consommation respectueux de l’environnement. Par conséquent, si l’entreprise n’est pas capable de répondre à ces évolutions, elle perd alors en solvabilité pour une banque, et c’est en cela qu’elle constitue un risque.

Finalement, le risque de réputation, correspond à l’image que renvoie une entreprise et toutes ses parties prenantes sur ses pratiques environnementales. Si celles-ci sont jugées nuisibles par le public, la société peut subir des boycotts, des blocages, des pertes en bourse (13), voire même des actions en justice. On pense notamment à L’Affaire du siècle (14), campagne française conduite par la Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France le 17 décembre 2018 visant à poursuivre en justice l’État pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Encadrer le risque pour mieux prévoir et réagir

Les acteurs économiques sont donc exposés à la dégradation du capital naturel (15), de la biodiversité et des services écosystémiques de multiples manières. Ainsi, en France, l’article 29 de la loi énergie-climat (16), entrée en vigueur en novembre 2019, élargit-il à la préservation de la biodiversité le cadre « climat » de l’article 173 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (17), notamment via la publication de stratégie d’alignement sur les objectifs internationaux de préservation de la biodiversité. Le cadre réglementaire européen, pour sa part, incite les investisseurs à intégrer l’impact et la dépendance de leurs investissements aux dimensions environnementales.

Pour limiter les risques, il est également nécessaire de pouvoir les quantifier. Différents indicateurs, métriques et scores, sont ainsi développés pour mesurer son impact sur la biodiversité. Il existe notamment le CBF (18) et le BFFI (19), approches permettant d’évaluer l’empreinte biodiversité des entreprises d’une part et des institutions financières de l’autre. Cependant, il est difficile de déterminer un indicateur unique tel que l’équivalent carbone, en raison de la complexité du fonctionnement du vivant et des multiples enjeux sociaux associés. De plus, il n’existe pas de consensus scientifique autour des indicateurs existants à ce jour et aucun ne prévaut.

Il y a encore beaucoup à faire

Bien que la loi évolue conjointement aux développements de méthodologie pour la mesure de l’impact des activités sur la biodiversité, des efforts doivent encore être réalisés, notamment en passant par la sensibilisation et l’engagement de toutes les parties prenantes à l’organisation. Lorsqu’il s’agit d’éliminer les financements néfastes à la biodiversité pour investir plutôt dans des entreprises et des projets qui lui sont profitables. 

Sources

(1) Plateforme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques.
(2) Le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, IPBES, 2019.
(3) Perte de biodiversité et stabilité financière : une nouvelle frontière pour les banques centrales et superviseurs financiers ?, Bulletin de la Banque de France 237/7, Septembre — Octobre 2021.
(4) Obligations et actions d’entreprises non financières détenues par des institutions financières françaises.
(5) Services directs ou indirects que l’homme retire de la nature.
(6) Programme des Nations Unies pour l’Environnement.
(7) State of Finance for Nature, UNEP, WEF, ELD, Vivid, 27 mai 2021.
(8) Organisation de Coopération et de Développement Économiques.
(9) Financer la biodiversité, agir pour l’économie et les entreprises, préparé par l’OCDE pour la Présidence française du G7 et la réunion des ministres de l’Environnement du G7, les 5 et 6 mai 2019.
(10) Planetary boundaries:exploring the safe operating space for humanity. Rockström, J., W. Steffen, K. Noone, Å. Persson, et.al. 2009. Ecology and Society 14: 32.
(11) A planetary boundary for green water, chercheurs du Potsdam Institute, associés au Stockholm Resilience Center, 6 avril 2022.
(12) LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
(13) 3 risques que l’effondrement de la biodiversité fait peser sur la finance, AFD (Agence Française de Développement), 14 octobre 2021.
(14) https://laffairedusiecle.net/qui-sommes-nous/
(15) Ensemble des ressources naturelles utiles directement aux hommes.
(16) LOI n° 2019–1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.
(17) LOI n° 2015–992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
(18) Corporate Biodiversity Footprint developed by Iceberg Data Lab and I Care Consult.
(19) Biodiversity Footprint Financial Institutions developed by ASN Bank, PRé Sustainability and CREM.

Par Clotilde Patarin, Consultante Square Management.

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