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Le Courrier Financier

– le 13 février 2022
Les conséquences du changement climatique transforment le marché immobilier. Outre la valeur intrinsèque des biens, comment les financer et les assurer sur le long terme ?
« Vous rêvez d’une maison en bord de plage ? Alors n’hésitez plus et investissez à Niort ou Saint-Omer ! » Si cette accroche apparaît comme absurde aujourd’hui, elle le sera moins en 2050, d’après une étude réalisée par le Climate Central.

Si actuellement c’est la montée des taux d’intérêt qui ébranle le marché immobilier, le changement climatique apparaît comme une véritable épée de Damoclès pesant dès à présent sur les propriétaires actuels et futurs acquéreurs…

Le risque climatique, un mal peu connu…

Le changement climatique, de par ses conséquences directes — via la survenance de plus en plus fréquente et virulente de catastrophes naturelles, communément appelé « risque physique aigu », ou la montée graduelle du niveau des mers, le « risque physique chronique » — et les transformations qu’il impose (« risque de transition »), touche désormais tous les aspects de l’exploitation et de la valeur d’un bâtiment.

Ces risques sont de plus en plus appréciés et appréhendés par la plupart des agents économiques, notamment via une impulsion réglementaire plus exigeante sur ces questions et une prise de conscience collective impulsée par la matérialisation de ces risques ces derniers mois. Néanmoins, et lorsqu’il s’agit des choix d’investissements des particuliers, le risque climatique est encore mal intégré dans le processus de décision.

Pourtant, mettre à disposition des informations relatives aux risques induits par le changement climatique devient indispensable pour des investissements réalisés sur le long terme. Selon une étude réalisée par Callendar, 15 000 transactions, réalisées entre le 1er Juillet 2016 et le 30 Juin 2020, concernent des biens immobiliers qui seront situés en zone inondable à horizon 2050, c’est-à-dire d’ici moins de trente ans.

Mieux informer les futurs propriétaires

Afin de pallier cette problématique, la Loi Climat et Résilience (Promulguée depuis le 24 août 2021) prévoit des modifications substantielles dans le formulaire de l’état des risques et pollutions (ou ERP) avec notamment l’introduction des informations liées à l’érosion côtière en sus des informations disponibles sur Georisque. Cette nouvelle directive prévoit également que, depuis le 1er Janvier 2023, l’ERP doit être produite et présentée aux acquéreurs dès la mise en vente ou location d’un bien immobilier.

Aujourd’hui, le prix des biens immobiliers reflète encore peu l’intensification des risques climatiques à venir. Certains travaux de recherche commencent à s’intéresser à cette question et notent un impact négatif à court terme sur le prix des logements, avec un effet rebond. La valeur totale de ces biens représente (toujours selon l’étude de Callendar) entre 4,7 et 6,7 milliards d’euros. Or, l’acquisition d’un logement passe généralement par la réalisation d’un crédit immobilier, octroyé par les institutions financières.

Comme la durée moyenne des crédits en France est de 20 ans, cette durée s’approche dangereusement de l’horizon 2050 et des scénarios catastrophes sur les communes du littoral français publiés par Climate Central. A noter que, si cet horizon 2050 est fixé, le risque d’inondation du littoral ne se matérialisera pas brusquement à termes : il augmentera graduellement jusqu’au niveau présenté par Climate Central en ayant des conséquences dramatiques bien avant cet horizon.

Les DPE : un autre levier ?

La communication au moment de la location ou de la vente d’un bien des informations relatives à l’ERP vient s’ajouter à une autre information cruciale : les diagnostics de performance énergétique (ou DPE). Les DPE renseignent acquéreurs et vendeurs sur la performance énergétique, et donc aussi climatique, d’un logement ou d’un bâtiment et proposent une graduation allant de A (pour les économes en énergie) à G (les plus énergivores). On parle de passoires énergétiques pour désigner les biens estampillés F ou G.

Alors que l’ERP renseigne le risque physique supporté par un bien immobilier, le DPE fournit une information sur le risque de transition. Jusqu’à présent, ce risque était surtout évoqué pour parler des possibles pertes économiques et financières que les entreprises pourraient subir du fait de la transformation de l’économie vers la durabilité. La Loi Climat et Résilience, en introduisant des mesures adossées au DPE, marque un tournant décisif sur ce plan pour les ménages et en particulier les investisseurs locatifs.

La première de ces mesures, effective depuis août 2022, a été d’interdire l’augmentation des loyers des passoires énergétiques ; puis, à partir du 1er Janvier 2023, d’interdire la présence sur le marché locatif des logements consommant plus de 450 kWh d’énergie finale par m² et par an. Près de 191 000 logements seraient concernés, dont 37 % de ces habitations sont des locations privées ou sociales ou des logements utilisés à titre gratuit.

La sortie de ces biens du marché locatif entraîne une perte financière sèche (absence de loyer) pour leur propriétaire, et une dévalorisation de ces mêmes biens. Bien que la mise en place de ces directives soit récente, une décote est déjà constatée sur les biens qualifiés de passoire énergétique. C’est la fameuse “valeur verte” calculée par l’association de notaires DINAMIC12.

Crédit immobilier : une révolution en marche ?

Aujourd’hui, la Loi Climat et Résilience pousse à plus de transparence vis-à-vis des acquéreurs. L’avancée majeure sur cette question est que la communication doit être faite dès la première visite du bien mis en location ou en vente, autrement dit, sans attendre la finalisation de la transaction. Si la présentation des risques climatiques endossée à un logement est désormais une information accessible aux vendeurs et acquéreurs, cet endossement entraîne également une autre conséquence côté financement, et en particulier sur les crédits immobiliers.

Ces dernières années sont en effet marquées, pour les établissements de crédit, par un vrai objectif de prise en compte de ces risques climatiques dans les conditions d’octroi de crédit et la gestion du risque de contrepartie. Cette dynamique est impulsée par les régulateurs qui demandent à ce que ces risques, qui impactent leurs clients, soient mesurés, évalués, et suivis. A cet effet, la revue thématique et les stress tests impulsés par la BCE courant 2022 ont conduit le régulateur à formuler un plan de remédiation accompagné d’un calendrier strict et d’un guide de bonne pratique visant à uniformiser et aligner les pratiques des banques d’ici 2024.

Parmi les bonnes pratiques attendues, deux points essentiels pourraient avoir un impact sur la gestion du risque de crédit : la décarbonation du portefeuille client des banques et l’intégration du risque climatique dans les modèles de notation interne. Dans le premier cas, cela pourrait se traduire par l’arrêt des financements des bâtiments dont les classes GES sont les moins bonnes. Dans le deuxième cas, le risque climatique pourra être pleinement intégré dans les modèles d’évaluation internes et dans le processus d’octroi de crédit.

D’autres impacts sont attendus du côté des institutions financières comme un adossement des garanties à ces risques climatiques — qui peuvent sur des horizons long termes entacher la valeur de celles-ci, on parle alors d’actif échoué ou de stranded asset. Enfin, et face à l’augmentation des aléas climatiques, le montant de la prime d’assurance pour les biens les plus exposés tend progressivement à augmenter… et met sur la table la question de l’assurabilité de ces logements.

Quelques mots pour conclure…

L’enjeu du marché de l’immobilier est de faire intégrer aux acquéreurs les conséquences de long terme de ce changement climatique. Outre la dévalorisation des logements déjà constatée ou attendue, c’est également la question du financement et de l’assurabilité de ces projets qui sont actuellement discutés par les institutions financières. Même si les nouvelles directives de la Loi Climat et Résilience conduisent à mieux informer les futurs propriétaires et locataires, elle ne doit pas conduire à une déresponsabilisation des acteurs du marché immobilier dans leur devoir de prévention des risques climatiques, et d’éducation à ces risques.
Par Sarah Daymier, Project Manager et Chercheure Square Management.

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