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L’Agefi Hebdo

– le 02/12/2021

Les régulateurs mondiaux organisent régulièrement des tests de résistance pour évaluer la résilience de leur système bancaire. Cet outil exploité plus finement par les établissements bancaires peut se révéler un instrument de pilotage particulièrement puissant. Les banques ont tout intérêt à développer leur maîtrise de cet outil. Les premières à y parvenir en tireront un avantage concurrentiel certain.

Le cadre réglementaire a remis les stress tests sur le premier plan

Depuis quelques années, un investissement important est fait par les banques pour réaliser les exercices de stress tests dits réglementaires. L’objectif de ces tests de résistance est d’évaluer la résilience d’ensemble du système bancaire. Selon ce point de vue macro-prudentiel, les résultats ont été positifs avant, pendant et juste après la crise sanitaire du Covid-19, illustrant la solidité acquise par le secteur depuis la grande crise de 2008. Par ailleurs, si ces exercices ne sont pas parfaits car ils s’appuient sur un scénario unique et masquent les disparités de business models et d’empreintes géographiques, ils ont l’avantage de remettre au premier plan cet outil qui peut se révéler particulièrement puissant en termes de pilotage. Du côté des banques, l’exercice n’est pas nouveau. Les établissements de crédit et grandes institutions financières ont très tôt utilisé des techniques inspirées du secteur industriel (en particulier automobile) pour estimer comment un scénario adverse pourrait affecter leur santé financière. Ils conduisent régulièrement, souvent à une fréquence annuelle, des exercices de stress tests pour répondre à des besoins spécifiques qui leur sont propres, souvent sur une activité et une zone géographique données. Toutefois, entre la réalisation de ces exercices et leur exploitation réelle dans le pilotage des risques, il reste bien souvent pour les établissements bancaires une marche supplémentaire à franchir.

Un outil de pilotage particulièrement puissant

Les établissements sont par ailleurs fortement encouragés à se saisir du sujet. Frank Elderson, membre de l’Executive Board et vice-président du Supervisory Board de la Banque Centrale Européenne, a déclaré (1) en mai 2021 que « des conseils d’administration plus forts induisent une meilleure gouvernance dans les banques et cela aboutit in fine à un système bancaire européen plus sûr et plus solide ». Les administrateurs d’une banque gèrent notamment les risques de leur groupe en ratifiant un cadre d’appétit au risque (Risk Appetite Framework), comprenant des indicateurs et des limites contraignantes. Ces seuils d’attention et d’alerte peuvent être établis sur la base de stress tests pour montrer où se situent les points de rupture dans la trajectoire financière d’une banque.

En tant qu’outils de projection, ces stress tests peuvent également servir à éclairer les décisions de gestion possibles et ce, quels que soit la période et les événements que vit l’établissement bancaire. En période de croisière, les stress tests pourront apporter des éléments de réponse dans les réflexions sur l’efficacité supposée d’un plan de rétablissement ou sur les impacts d’un mouvement stratégique dans le portefeuille. En période de crise, ils apporteront un éclairage sur des questions se posant à court terme, par exemple comment optimiser l’utilisation des réserves de liquidité ou, à plus long terme, comment restaurer la soutenabilité du modèle d’activité. Les stress tests sont également clés dans la préparation des plans de réponse aux crises, notamment le liquidity contingency plan et le recovery plan.

Enfin, les stress tests peuvent également alimenter le calcul des taux de cession internes pour influer sur la prise de risques de chaque métier au travers du calcul de sa rentabilité. Un des avantages les plus saillants ici porte sur le pricing de ressources autrement invisibles dans les états financiers comme la liquidité intraday.

Un outil efficace… sous certaines conditions

Si l’apport des stress tests est indéniable, on peut s’étonner que leur exploitation ne soit pas davantage répandue. Mis à part les activités de marché où le besoin est intégré depuis les années 90, le contrôle de gestion examine l’origine des résultats financiers et leur affectation, mais ne les met pas au regard du risque embarqué en cas d’événement adverse. En réalité, l’utilisation des stress tests comme outil de pilotage place les banques face à de réels défis qu’elles ne sont pas toujours en mesure de relever : des défis d’ordre technologique, organisationnel, de gouvernance mais également culturel. En effet, pour être efficace, il est primordial de pouvoir exécuter les scénarios de façon industrielle. Un nombre élevé de scénarios permettra en effet de mieux appréhender la sensibilité de tel indicateur à un ensemble d’événements adverses. La vitesse de calcul et la capacité à ajouter rapidement de nouveaux scénarios seront également clés pour tirer parti des projections et ainsi mieux réagir pendant une crise, au quotidien. Par ailleurs, pour être pertinent, un modèle de stress test doit s’appuyer sur des modèles souvent ad hoc développés spécifiquement dans le cadre de l’exercice du stress test. Les établissements doivent donc réussir à résoudre la quadrature du cercle en conciliant exercice dynamique sur-mesure et approche industrialisée. Le tout doit être mis en musique dans le cadre d’un processus de production parfaitement optimisé basé sur des données de qualité. Dernier défi, et pas des moindres, la capacité à mesurer les impacts multirisques, car les stress tests pris isolément ne déploient pas toute leur valeur. Par exemple, comment la dégradation de la qualité d’un portefeuille de crédits peut impacter le collatéral mobilisable et donc les réserves de liquidité ? Un bon programme de stress tests doit également inclure des scénarios plausibles sur des risques émergents (climat) ou juste hypothétiques mais à fort impact. Qui aurait testé il y a 10 ans la résistance à une crise sanitaire mondiale, au Brexit ou à la présence de certains candidats à l’élection présidentielle ?

Un avantage concurrentiel indéniable pour ceux qui sauront en tirer parti

La crise sanitaire que nous traversons depuis le printemps 2020 a bousculé de nombreuses croyances et a montré qu’un scénario peu plausible mais défavorable pouvait bel et bien se produire, remettant à nouveau l’accent sur l’importance de l’anticipation et de la pertinence des tests de résistance. Tirons les leçons de cette crise : nous ne pouvons pas prévoir comment et quand surviendra la prochaine crise, mais les stress tests constituent une boîte à outil pour mesurer plus efficacement la sensibilité d’un établissement à des événements adverses. Les banques doivent donc renforcer maintenant, à la sortie de cette crise, leurs capacités d’exécution et d’interprétation des résultats et, d’autre part, étendre la gamme de risques testés pour (mieux) inclure par exemple les risques opérationnels et les risques climatiques. Si, pour y arriver, les établissements ont encore du chemin à parcourir et un investissement à fournir, il est plus que certain que les premiers à y parvenir développeront un avantage concurrentiel indéniable.

(1) https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/interviews/date/2021/html/ssm.in210519~ba50e05f6f.en.html
“Stronger boards mean stronger governance in banks, and that will ultimately translate into a safer and sounder European banking system”.

Par Guillaume Pajczer, project manager chez Square.

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