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L’Argus de l’Assurance 

– le 11 octobre 2022
La réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture n’en est qu’au stade embryonnaire. Le nouveau système de gestion des risques doit s’accompagner d’une adaptation des filières pour rendre toutes les exploitations plus résilientes au change ment climatique. 
Depuis quelques années, les aléas climatiques se multiplient avec une occurrence et une intensité croissantes. Dans le secteur agricole, les conséquences de ce dérèglement se font de plus en plus sentir. Sur les cinq dernières années, le coût des sinistres agricoles a plus que doublé, alors que seules 30% des surfaces agricoles en France sont assurées contre ces aléas. Face à l’inefficacité du système actuel vis à vis des risques climatiques, l’objectif du gouvernement est clair : mieux couvrir les agriculteurs tout en préservant les exploitations et la souveraineté alimentaire de la France. Les assurés sont confrontés à des dispositifs assurantiels complexes et parfois très couteux. La réforme de l’assurance récolte, promulguée en mars 2022 et en vigueur à compter du 1er janvier 2023, a la lourde tâche de rendre ces contrats plus lisibles et plus efficaces. Cette réforme est-elle à la hauteur des attentes des agriculteurs et des assureurs ? 

Un nouveau régime d’indemnisation des pertes de récoltes 

Un dispositif à trois étages a été proposé couvrant les risques climatiques selon leur intensité. Pour les risques dits de faible intensité, l’agriculteur supporte seul les dommages constatés. Pour les risques d’intensité moyenne, l’assurance récolte multirisques permet à l’agriculteur d’être en partie dédommagé à travers une mutualisation des risques entre les territoires et les filières. De plus, les primes font l’objet d’une subvention à hauteur de 70%. Enfin, lors de catastrophe naturelle, chaque agriculteur, qu’il soit assuré ou non, est indemnisé grâce à l’intervention du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Ainsi, il est prévu que le budget alloué aux catastrophes naturelles atteigne un montant annuel de 680 millions d’euros, contre 300 millions d’euros aujourd’hui. Par ailleurs, un consortium d’assureurs doit être mis en place pour mutualiser les risques par type de culture et par territoire. Cette mutualisation conduit à une tarification plus adéquate et transparente, ainsi qu’une amélioration des mesures de prévention des sinistres. Un comité d’orientation et de développement de l’assurance récolte, auquel participent assureurs, réassureurs, agriculteurs et l’État, permet de regarder l’évolution du ratio sinistre à prime. Si ce ratio dérive trop, des mesures d’adaptation sur les territoires sont mises en place. Par exemple, le déplacement de bassins de production, la cessation d’une production ou même la mise en place de variétés tropicales. Ce projet de loi, visant à simplifier les démarches administratives, permet également aux assurés de recevoir directement leurs indemnités au titre des contrats d’assurance récolte et au titre de solidarité nationale. Pour les agriculteurs non assurés, les indemnités sont versées par l’État ou un réseau agréé, comme la caisse centrale de réassurance.

Une réforme utile mais encore incomplète

Pour remplacer le système actuel, le gouvernement met en place un dispositif universel et partenarial. Ce système de gestion des risques repose sur la solidarité nationale et le partage du risque entre l’État, les agriculteurs et les entreprises d’assurance. Les paramètres et les taux d’indemnisation entre ces différentes parties ont été fixés pour les trois prochaines années. Ainsi, au niveau de l’assurance, le seuil de déclenchement et la franchise subventionnable minimale sont fixés à 20 % pour toutes les cultures. Pour un agriculteur assuré, le taux d’indemnisation par l’État a été fixé à 90%, également pour toutes les cultures. Pour les non assurés, ce taux d’indemnisation est de 45% en 2023, puis de 40% en 2024 et 35% en 2025. Concernant le seuil de déclenchement de solidarité nationale, il a été fixé à 50% pour les grandes cultures, les viticultures, les cultures industrielles et légumes et à 30% pour les autres productions. Les assurés ont le choix entre la moyenne des rendements réalisés au cours des cinq dernières années et la moyenne triennale glissante. On constate que, sur un horizon temporel aussi court, avec des aléas climatiques toujours plus forts et incertains, l’agriculteur peut se retrouver avec des indemnisations très faibles comparées à son manque à gagner en temps normal. Un décret doit fixer les conditions dans lesquelles les évaluations des pertes peuvent faire l’objet d’une demande de réévaluation. Enfin, une ordonnance a été projetée pour déterminer les conditions dans lesquelles les exploitants agricoles des outre-mer peuvent accéder au FNGRA, compte tenu des particularités géographiques et économiques de ces départements. La réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, n’en est qu’au stade embryonnaire. Pour atteindre les 60% des surfaces agricoles assurées d’ici 2030, il faudrait encore convaincre 70 000 agriculteurs de souscrire à une assurance. Ce nouveau système de gestion des risques doit s’accompagner d’une nécessaire adaptation des filières pour rendre toutes les exploitations plus résilientes au changement climatique.

Vers une solution hybride

Ce projet de loi ambitieux permet d’avoir une meilleure vision sur la répartition des risques. La réforme doit donc se jouer sur les critères et les modalités choisis entre les différents types de contrats d’assurance. Aujourd’hui, les assurances en agriculture sont réparties en deux catégories : les assurances indemnitaires et les assurances paramétriques. L’assurance indemnitaire dédommage les agriculteurs selon l’évaluation des dégâts constatés par un expert. L’assurance paramétrique indemnise les agriculteurs en fonction d’un indice climatique de référence comme la température, la pluviométrie, ou une durée. Elle permet à l’ensemble des assurés d’être automatiquement indemnisé, sans intervention d’expert, avec un processus de déclaration et de règlement simplifié. D’un point de vue technique, l’assurance paramétrique permet d’économiser des frais de gestion. Cependant, au vu des indices à disposition et de la diversité pédoclimatique, la granularité des paramètres peut être est souvent limitée pour une parfaite corrélation entre un indice et la réalité du sinistre. Le développement d’une solution hybride alliant l’indiciel et l’indemnitaire peut donc être la solution pour parvenir à un taux d’assurabilité de 60% et répondre à chaque situation. Cette approche hybride permettrait aux assureurs de se servir de l’indiciel pour combler un manque de couverture. Sur des sinistres simples, l’assurance paramétrique a déjà fait ses preuves. En revanche, sur des sinistres plus complexes, l’assurance indemnitaire à dire d’expert reste la meilleure solution. Les technologies numériques permettront de générer des modèles de plus en plus performants, croisant différents indicateurs et permettront d’informer directement l’expert des cultures qui ont été touchées. Les outils de gestion des risques climatiques en agriculture doivent s’adapter au dérèglement climatique. En France, un bilan de la réforme sera présenté par le gouvernement d’ici quatre ans. En fin d’année 2021, l’union européenne est parvenue à un accord afin de faire évoluer la politique agricole commune, pour une mise en œuvre dès 2023, permettant de soutenir une agriculture plus juste et plus respectueuse de l’environnement. Chaque État membre est invité à élaborer un plan stratégique, permettant de mieux définir comment utiliser les fonds agricoles en fonction des conditions et des besoins locaux. L’objectif maintenant est de renforcer la contribution de l’agriculture en matière d’environnement et de climat, d’assurer un soutien aux petites et aux jeunes exploitations et de laisser aux États une marge de manœuvre pour adapter les mesures aux conditions locales. Vaste chantier et question d’avenir, loin d’être achevé.
Par Augustin de Chevron Villette, Consultant Confirmé Square Management.

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