Sauvons l’esprit de la CSRD

La Tribune
– 08 Février 2025
OPINION. les grandes entreprises se préparent à publier leur première Déclaration Relative à la Durabilité (DRD) dans les prochains mois, bien que plusieurs questions restent en suspens concernant le périmètre du rapport et les enjeux à considérer comme « matériels ».
Alors que le Premier ministre Michel Barnier a récemment émis un doute sur le maintien de la CSRD — la nouvelle directive en matière de reporting sur la durabilité — les grandes entreprises continuent de se préparer activement à publier leur première Déclaration Relative à la Durabilité (DRD) d’ici quelques mois.
Pourtant, tout n’est pas encore ficelé. En particulier, certains grands groupes n’ont pas encore tranché sur le périmètre de ce premier rapport : combien de chapitres comprendra-t-il — chaque chapitre correspondant à une des 10 grandes thématiques de durabilité (5 environnementales, 4 sociales, et 1 de gouvernance) ? Quelles sont les thématiques que les entreprises auront in fine retenues comme « matérielles », c’est-à-dire comme suffisamment importantes pour mériter que l’entreprise y consacre un chapitre.
La rédaction de la directive elle-même en est en grande partie responsable de ces atermoiements de dernière minute. Paradoxalement, alors qu’un des objectifs de la directive est de rendre comparables les rapports que publieront les entreprises, cette rédaction leur laisse la possibilité de définir le périmètre de leur rapport, via le fameux exercice de double-matérialité. Cet exercice, dont la méthodologie n’est que partiellement normée, consiste dans l’identification d’enjeux potentiellement matériels, l’évaluation de la gravité de ces enjeux dans la perspective impact et la perspective financière, et enfin dans la définition d’un seuil qui délimite les enjeux matériels de ceux qui ne le sont pas. Or, la directive ne dit pas comment établir ce seuil. Aussi, techniquement, rien ne pourrait être reproché à une entreprise qui fixerait un seuil tellement élevé qu’aucun enjeu ou aucune thématique ne serait considéré comme matériel.
Dans la définition de ce seuil fatidique, les entreprises peuvent être tiraillées par deux principes opposés.
Pour rappel, la perspective « impact » de la double-matérialité demande aux entreprises d’évaluer les incidences de leurs activités sur des personnes et l’environnement du point de vue de ces personnes et de l’environnement affectés. Il s’agit d’appliquer un « principe de reconnaissance ». Si une entreprise ne reconnaît pas un enjeu comme matériel, alors même que l’impact subi par des personnes ou l’environnement est substantiel, il y aurait alors un déni de reconnaissance. Le respect du principe de reconnaissance incite donc à abaisser les seuils.
Le « principe de responsabilité » stipule qu’une entreprise doit gérer les enjeux qui sont matériels en mettant en place des politiques et actions adéquates. Assez logiquement, les entreprises ne souhaitent pas dire que tel enjeu est matériel avant d’avoir développé une politique pour le gérer. Cela les incite donc à hausser les seuils afin que seules les thématiques sur lesquelles elles ont déjà mis en place une politique apparaissent comme matérielles.
Un certain nombre de grandes entreprises font donc face au dilemme suivant :
- Soit choisir des seuils suffisamment élevés pour montrer qu’elles gèrent l’ensemble des questions de durabilité qu’elles considèrent matérielles ;
- Soit choisir des seuils relativement bas afin de reconnaître une responsabilité sur un périmètre large proche de la réalité de ses impacts, quitte à reconnaître qu’elles ne gèrent pas tous les enjeux qu’elle considère pourtant comme matériels.
La première alternative a la vertu de la cohérence, mais signale un certain conservatisme ; la seconde perd en cohérence, mais annonce que l’entreprise va faire évoluer sa démarche de durabilité dans un mouvement d’amélioration continue.
Afin de trancher, les entreprises devraient se rappeler que cet exercice de transparence est une opportunité de nourrir un dialogue constructif avec toutes leurs parties prenantes, dans la perspective de faire évoluer leurs modèles d’affaires, leurs stratégies et leurs politiques, et ainsi de contribuer à l’effort collectif de transition écologique.
Par Franck Amalric, Sponsor du Domaine d’Excellence « Sustainability »